Le passage à l'heure d'hiver donne lieu, chaque année, aux mêmes débats. Les économies d'énergie ainsi réalisées sont-elles substantielles? Justifient-elles de perturber les rythmes de sommeil de toute la population, en particulier des jeunes enfants et des personnes âgées? Le problème ne se posait pas autrefois, lorsque nos sociétés étaient rurales. La journée était rythmée par le lever et le coucher du soleil et l'adaptation aux changements d'ensoleillement se faisait graduellement. L'industrialisation et la nécessité de faire travailler les ouvriers aux mêmes heures de façon coordonnée, a fait apparaître les heures standardisées et les fuseaux horaires.
Aujourd'hui, on pourrait imaginer en théorie un mécanisme différent du système d'heure d'été et d'hiver: un ajustement au cas par cas. L'heure resterait identique mais les gens changeraient d'horaire en fonction des besoins. Mon employeur pourrait décider, pour réduire sa facture énergétique, de modifier le planning en hiver, de commencer et de finir les cours une heure plus tard. Les bars de nuit, moins concernés, pourraient décider de maintenir leurs heures d'ouverture, quitte à changer les happy hours. Les personnes âgées sans contraintes d'emploi du temps pourraient se lever avec le soleil.
Chacun peut voir que cette solution marche en théorie, mais deviendrait cauchemardesque en pratique. Si mon employeur change ses heures en hiver mais pas l'école des enfants, que le supermarché dans lequel je fais mes courses choisit un arrangement différent, je dois me réorganiser. Si une entreprise n'a pas les mêmes pratiques que ses fournisseurs et ses clients, cela devient ingérable. Un ajustement imposé, sous la forme d'une norme publique imposant à chacun de reculer sa montre d'une heure en même temps, est bien plus efficace, les bénéfices d'un ajustement au cas par cas étant bien moins grand que ceux de la coordination entre les gens.
Quel rapport avec les taux de change et la crise de la zone euro? La similitude entre heure d'hiver et parités monétaires a été constatée par Milton Friedman dans les années 70. Supposons qu'un pays ait un problème de balance des paiements: par exemple, il ne parvient pas à payer ses importations avec ses recettes d'exportations et il ne reçoit plus assez de capitaux pour payer son solde extérieur. Ce pays doit réduire ses importations et augmenter ses exportations (parce que les étrangers vendeurs de produits importés n'accepteront pas indéfiniment de ne pas être payés). Comment cela va-t-il se passer?
Le changement de parité monétaire joue le même rôle que le changement d'heure
Une première solution passe par des baisses salariales, en particulier dans les entreprises exportatrices. Ainsi, les gens seront plus pauvres et consommeront moins de produits importés. Les entreprises exportatrices vont regagner en compétitivité et pouvoir vendre plus. Mais changer tous les salaires en même temps, c'est compliqué. Les salariés vont probablement résister (et c'est bien naturel): ceux qui disposent d'un fort pouvoir de négociation vont essayer de faire en sorte que d'autres subissent les baisses, et pas eux. L'ajustement sera lent, difficile, jettera les gens les uns contre les autres.
Alors qu'il y a une alternative, constatait Friedman: les changes flexibles. Si la devise nationale baisse, cela conduit au même résultat : les gens sont plus pauvres en termes réels (parce que le prix des produits importés augmente) et les exportations deviennent plus compétitives. Mais cet ajustement est bien plus facile que de compter sur des négociations salariales dans chaque entreprise, et il est instantané. Le changement de parité monétaire joue le même rôle que le changement d'heure : permettre un ajustement rapide et coordonné.
Cette métaphore permet même d'éclairer la question de la taille des zones adoptant la même référence, monétaire ou horaire. Brest est sur le même fuseau horaire que Varsovie, mais pas Dublin, Lisbonne ou Londres, ce qui signifie que l'heure n'y est pas adaptée pour un ensoleillement maximum. Mais une entreprise brestoise a intérêt à pouvoir se coordonner avec le reste de la France; la France, à être coordonnée avec l'Allemagne, tout comme la Pologne. Les gains de coordination sont probablement supérieurs aux coûts du moindre temps passé en plein jour. Entre New York et Los Angeles, ce n'est pas le cas.
En matière monétaire, le même genre de calcul justifie le fait d'utiliser, ou non, la même devise. D'un côté, cela facilite la coordination des activités d'avoir la même monnaie; de l'autre, cela devient embêtant lorsque surviennent trop souvent des écarts causant des déséquilibres nécessitant un ajustement par les salaires. En somme, lorsque ce genre d'évolution des coûts salariaux (voir graphique ci-dessous) se combine avec une monnaie unique, il y a un gros, gros problème :