C'est donc à Tokyo qu'auront lieu les jeux olympiques 2020. Cela suscite manifestement une grande joie des japonais, et la déception pour les autres, en particulier Istanbul, qui rate l'organisation pour la cinquième fois. Mais au delà du plaisir d'avoir gagné quelque chose, est-ce vraiment une bonne chose pour le Japon?
coûts élevés, gains faibles
Il y a quelques règles à connaître sur l'organisation des jeux olympiques. Premièrement, l'organisation coûte toujours beaucoup plus cher que prévu lors de la candidature - 179% du coût prévu en moyenne, d'après l'analyse de deux économistes de l'Université d'Oxford. Dans la catégorie des dépenses de prestige (musées, infrastructures, etc) les jeux sont les seuls à systématiquement dépasser leur budget, et de manière aussi forte. Les JO de Londres ont coûté 14 milliards d'euros, contre 6 prévus initialement; le record est parti pour être atteint par les jeux de Sotchi l'an prochain, prévus pour coûter 12 milliards (déjà un record) et dont le coût pourrait atteindre 50 milliards d'euros, soit 500% par rapport à la prévision initiale.
Deuxièmement, l'organisation des jeux olympiques rapporte beaucoup moins que prévu, surtout, par rapport au coût effectivement supporté. Les gains apportés par les spectateurs des JO s'accompagnent de pertes dans d'autres activités. Les gens qui voulaient aller à Londres pour le British Museum savent bien que ce genre de tourisme devient impraticable pendant les événements sportifs. Les ventes de sandwiches sur les site olympiques se font au détriment des restaurants traditionnels qui voient passer des foules de spectateurs sommés par le comité d'organisation de ne pas s'arrêter devant leur vitrine. De même, les retombées ultérieures sont immanquablement décevantes. En Grèce, les infrastructures pourrissent sur place; le coût de l'organisation des jeux a lourdement dégradé les finances publiques, contribuant aux difficultés actuelles. Ne parlons pas de Montréal dont les habitants payaient encore 30 ans après pour les jeux de 1976. Les infrastructures construites à l'occasion, à quelques exceptions près, sont peu réutilisables ou à un coût élevé. Le stade olympique de Londres va être ainsi occupé par l'équipe de football de West Ham, moyennant 300 millions de livres de travaux d'adaptation.
Malédiction du vainqueur
Troisièmement, le coût élevé et les gains faibles des Jeux Olympiques sont dissimulés sous des chiffres bidon. Coûts notoirement sous-évalués initialement, et "bilans" établis par la suite en accordant aux Jeux des bénéfices qu'ils n'ont pas eu, et en négligeant leurs conséquences négatives. Le gouvernement britannique a ainsi prétendu récemment que les jeux de Londres avaient été "bénéficiaires" en considérant comme retombées des jeux tous les investissements réalisés par des multinationales étrangères à Londres depuis (alors qu'il est probable qu'une bonne partie de ces investissements aurait eu lieu de toute façon, même sans les jeux) et en négligeant de compter dans le coût des jeux la construction de routes et de lignes de métro nécessaires.
La raison de ce phénomène est bien connue : obtenir les jeux olympiques relève de la malédiction du vainqueur, un problème économique bien connu. Les gains potentiels des jeux sont difficiles à identifier par avance (surtout en étant honnête), les coûts aussi (une bonne part du dépassement des coûts pour Londres a été le prix des matières premières et les dépenses de sécurité dues au contexte géopolitique, toutes choses impossibles à prévoir en 2005 lors de la candidature). Face à cette incertitude, chaque candidat est tenté de se référer aux offres des autres candidats pour faire sa propre offre. Si la ville concurrente propose de dépenser 10, c'est qu'elle considère que cela les vaut, il faut donc proposer plus, etc, jusqu'au point ou il ne reste plus qu'un seul candidat, qui paie trop cher. Le CIO est expert dans la technique permettant de faire monter les enchères des villes candidates. Et ce n'est pas un hasard si les seuls jeux réellement rentables des dernières décennies aient été ceux de Los Angeles en 1984, qui était la seule ville candidate à ces jeux boycottés par les pays de l'Est, et qui a pu obtenir des conditions favorables.
Dépenses de prestige
On pourrait dire que ce raisonnement est trop strictement comptable, et néglige tous les effets indirects favorables des jeux. Parmi ceux-ci, le fait que certaines villes se dotent à cette occasion d'infrastructures utiles. L'aéroport d'Athènes par exemple a été rénové à l'occasion des jeux, le village olympique de Barcelone a permis la constitution de plages et d'un quartier agréable à la place d'une friche industrielle, la pollution à Pékin a pu être réduite à l'occasion des jeux. Mais ce point traduit surtout un problème : l'incapacité à construire des infrastructures autrement que sous forme de projet de prestige pharaonique. Ces derniers ont tendance à nuire à la réalisation de projets moins spectaculaires mais plus utiles.
On pourrait dire aussi que l'organisation des jeux apporte un énorme bénéfice indirect sous la forme du prestige gagné par la ville organisatrice, qui se retrouve sous les feux de l'actualité et peut changer son image de manière considérable grâce à ceux-ci. Certains disent déjà que l'organisation des jeux de 2020 sera l'occasion de restaurer le prestige du Japon et de consacrer le retour du pays grâce à sa nouvelle stratégie économique. C'est exact, mais c'est oublier qu'il y a des moyens beaucoup plus efficaces et moins coûteux d'asseoir son prestige pour une ville. Le meilleur rapport prestige/prix de l'histoire est probablement la Tour Eiffel, qui a coûté à l'époque 8.7 millions de francs (une trentaine de millions d'euros d'aujourd'hui) et est devenue le bâtiment le plus connu de Paris. Le musée Guggenheim de Bilbao a lui aussi totalement changé l'image de la ville. L'opéra de Sydney est devenu le symbole de la ville, pour un coût de 700 millions de dollars, soit 10 fois moins que les jeux olympiques de 2000. Dans une quinzaine d'années, le London Eye sera un symbole bien plus connu de Londres que les jeux de 2012, pour un coût 200 fois moindre. De manière générale, un bâtiment spectaculaire est un bien meilleur investissement de prestige que l'organisation d'événements sportifs. Si l'on tient absolument à la dimension sportive, investir massivement dans la formation pour rafler toutes les médailles dans un sport, comme l'ont fait les anglais avec le cyclisme, est aussi un bon calcul.
Certes, l'engouement provoqué par les jeux permet de se lancer dans ces dépenses de prestige, précisément parce que pour les jeux, on compte moins. Le Japon, cependant, n'a pas besoin des Jeux Olympiques pour se lancer dans de vastes projets d'infrastructures à utilité limitée. Le fort degré de corruption autour du secteur du BTP japonais a de bonnes chances d'être une source de dépassements de budget. Il y a donc des raisons de penser que le Japon rejoindra la longue liste de ceux qui paient beaucoup trop cher pour les jeux olympiques.