Améliorer l'accès?
Le gouvernement a annoncé son plan pour l'entrée des étudiants à l'université. Pas de sélection, ni de prérequis strict, mais des mécanismes visant à éviter les tirages au sort dans les filières en tension et des cours supplémentaires pour les étudiants en difficulté. Le tout avec la promesse de quelques moyens supplémentaires, loin d'être suffisants pour faire face à la hausse des effectifs. Les universités françaises continueront pour l'essentiel de manquer de moyens et de fonctionner dans un état pitoyable.
On peut le déplorer mais c'est ainsi : il n'y a pas beaucoup d'appétit en France pour investir beaucoup plus d'argent public dans l'enseignement supérieur. Répéter sans arrêt qu'il faut dépenser plus pour les étudiants est vain et inutile : cela ne change rien. Les élites dirigeantes s'en sortent en mettant leurs enfants dans des filières protégées; Les étudiants qui passent par les mailles du filet s'en sortent tant bien que mal; quant à ceux qui sortent sans diplôme de l'université ou y perdent leur temps, cela fait longtemps qu'ils n'intéressent personne.
Le contribuable ne veut pas payer plus pour les universités; Les contributions des entreprises sont rares et posent rapidement des problèmes d'indépendance des chercheurs; Peut-on faire autrement?
L'expérience britannique
Au cours des 20 dernières années, le mode de financement des universités britanniques a considérablement changé. De quasiment gratuites, celles-ci sont désormais parmi les plus chères du monde, avec des frais d'inscription à 9000 livres sterling par an (plus de 10 000 euros).
Cette évolution s'est faite en plusieurs temps. En 1998 ont été introduits des frais d'inscription de 1000 livres par an, payés par les étudiants dont les parents étaient les plus aisés. Ces frais sont passés à 3000 livres en 2006, avec un système original : les frais n'étaient pas payés directement par les étudiants, mais ceux-ci contractaient un emprunt sans intérêt, à rembourser progressivement après obtention de son diplôme, en fonction du revenu : seuls les diplômés qui travaillaient gagnent 10 000 livres par an ou plus commençaient à rembourser leur emprunt. En 2012, le système a encore été modifié : les frais sont désormais de 9000 livres et l'emprunt ne doit être remboursé qu'à partir d'un revenu de 21000 livres par an.
En somme, les étudiants britanniques paient pour leurs études en contractant une dette contingente auprès du gouvernement, qu'ils ne remboursent qu'après être diplômés lorsque leurs revenus atteignent un certain niveau.
Cette réforme est très décriée : dans son manifeste de 2017, le parti travailliste britannique a annoncé son intention de mettre fin à ces frais d'inscription. Aux USA, la gratuité des études universitaires est régulièrement proposée comme moyen de réduire les inégalités.
Un système efficace?
Pourtant, si l'on en croit les économistes Gill Wyness, Richard Murphy et Judith Scott-Clayton, qui ont étudié ce système britannique, celui-ci ne fonctionne pas si mal. Les auteurs s'intéressent à trois dimensions : l'accessibilité des études, les inégalités et la qualité de l'enseignement. Sur le premier point, ils constatent que la proportion d'une classe d'âge accédant aux études universitaires a doublé depuis la réforme. Pour le second, ils notent que cet accès accru a surtout bénéficié aux enfants issus de milieux modestes. Concernant la qualité de l'enseignement, ils constatent que la dépense moyenne consacrée aux étudiants a augmenté; les universités ont utilisé l'argent supplémentaire qu'elles recevaient pour améliorer les formations données aux étudiants.
Comment augmenter le coût des études bénéficie-t-il aux étudiants modestes? Selon les auteurs, c'est le système de prêt dépendant du revenu futur qui est la clé. Avec ce système, les étudiants issus de milieux modestes peuvent en pratique disposer de beaucoup plus d'argent pour financer leurs études qu'avant l'existence de ces prêts. Ils peuvent en effet emprunter avec ce même système jusqu'à 8000 livres par an (en plus du prêt pour payer les études) ce qui les aide à supporter les autres dépenses de leur période d'études. Pour les auteurs de l'étude, le système britannique n'est pas sans défaut, mais montre que la quasi-gratuité des études n'est pas sans défauts non plus si elle aboutit à la dégradation de la qualité de l'enseignement et restreint l'accès des études des enfants issus de familles modestes. Un système d'études chères avec étudiants défavorisés fortement aidés serait-il meilleur?
Adopter ce système en France?
Un tel système serait-il la solution au problème de financement de l'enseignement supérieur en France? Il faut noter que certains établissements, en particulier les Instituts d'etudes politiques, ont déjà augmenté leurs droits d'inscription, avec des frais élevés pour les inscrits issus de familles aisées, et la gratuité pour les étudiants issus de familles modestes.
Augmenter les droits d'inscription tout en créant des mécanismes permettant aux étudiants d'emprunter pour payer pourrait faciliter leur accès aux études, tout en améliorant la qualité des formations. On pourrait imaginer un cercle vertueux dans lequel les universités cherchent à attirer plus d'étudiants (qui leur rapportent plus), améliorent leur offre de formation dans ce but, en utilisant les ressources supplémentaires que cela leur apporte. Les étudiants eux-mêmes deviendraient plus sélectifs dans leurs choix d'études, privilégiant celles qui améliorent leurs chances et leurs revenus futurs sur le marché du travail.
On peut aussi imaginer des dizaines de façons dont ce système pourrait échouer. D'abord il serait politiquement extrêmement difficile à mettre en place. En Angleterre, ce système est largement détesté. Il faut noter aussi que cela revient à imposer aux jeunes, dès leur entrée dans la vie active, plusieurs dizaines de milliers d'euros de dette. Lorsque par ailleurs l'accès au logement est rendu difficile par la hausse des prix immobiliers, cela condamne les futurs actifs a-à une vie plus difficile que leurs aînés.
Par ailleurs le système universitaire français ne part pas du même point que le britannique et ses problèmes sont différents. Il faut aussi que cela ne revienne pas à un jeu de chaises musicales, dans lequel les frais payés par les étudiants sont autant qui disparaît de la dotation de l'Etat à l'enseignement supérieur. Le risque de finir avec un système pire que la situation actuelle n'est pas nul du tout avec ce genre de réforme.
Mais il faut être lucide : la quasi-gratuité actuelle des études supérieures a un coût significatif, sous forme de bâtiments dégradés, de faible dépense par étudiant qui pénalise les plus modestes, de taux d'échecs importants. Si l'on ne veut pas du système britannique, il est urgent de proposer des alternatives sérieuses.