La révélation par l'actrice Angelina Jolie de sa double mastectomie a suscité des commentaires divers, jusqu'au plus absurdes, sur la nature et l'opportunité de cette opération, et du test génétique de la mutation du gène BRCA1 qui lui donnait un risque de 87% de cancer du sein (contre 12% dans le reste de la population) et de 50% de cancer des ovaires. Un sujet a été peu abordé cependant : cette opération préfigure des changements majeurs sur la façon dont nous considérons les risques liés à la santé et l'assurance.
L'assurance et l'information
Lorsqu'un accident est aléatoire, et indépendant de la volonté des personnes qui le subissent, une compagnie d'assurance peut offrir une protection contre ce risque. Sur un nombre suffisamment important de personnes, la proportion de ceux qui bénéficieront de cette protection peut être prévue avec suffisamment de certitudes. Cela ne fonctionnera plus, par contre, si le risque d'accident de l'assuré dépend de son comportement, ou si celui-ci détient des informations sur son risque inconnues de l'assureur.
Pour cette raison, il est possible de prendre une assurance sur la casse d'écran de son téléphone portable, ou un cambriolage, mais pas sur le risque de divorce, ou de grossesse. Si vous souhaitez prendre une assurance vous versant une allocation en cas de grossesse, aucun assureur ne voudra vous la vendre. Celui qui le ferait se retrouverait vite ruiné, car les seules clientes qui viendraient acheter cette assurance seraient celles dont la probabilité est bien plus élevée que la moyenne; et une fois assurées, leur probabilité de tomber enceinte a toutes les chances d'augmenter encore.
Pour un assureur, la seule solution serait alors soit de limiter l'accès à des assurés qui présentent des profils de risque réduit - c'est à dire, ceux qui n'ont pas besoin d'assurance - soit d'augmenter les primes d'assurance. Mais dans ce dernier cas, les gens qui savent que leur risque est faible renonceront à s'assurer, et les risques élevés vont s'accumuler chez l'assureur, l'obligeant à encore augmenter ses primes, jusqu'au point ou l'assurance disparaîtra.
Solidarité publique
dans les secteurs ou l'assurance privée fonctionne mal, voire ne peut pas fonctionner, la solution a consisté dans les pays développés à recourir à la solidarité publique. C'est pour cela que l'assurance-chômage relève de la protection sociale, par exemple. Et la générosité publique dépend de l'appréciation sociale du degré de responsabilité des individus dans leur situation. L'assurance-chômage est bien moins généreuse pour les gens qui quittent leur emploi volontairement; la société n'est pas très généreuse pour les divorcés sans enfants.
En somme, le degré de responsabilité individuelle dans sa situation, et l'asymétrie d'information entre la victime du risque et celui qui l'indemnise, ont une influence majeure sur la forme que prennent les institutions : secteur privé ou secteur public, degré de contrôle exercé sur les individus pour l'obtention d'aides. Or les évolutions technologiques, comme le test génétique qui a permis d'identifier le risque pour Angelina Jolie, déplacent les frontières entre ces différentes catégories.
Qui assurera Angelina Jolie?
Et à ce titre, les tests passés par Angelina Jolie posent des questions importantes. Quelle compagnie d'assurance vendrait une assurance-décès, ou une assurance-santé, à une personne dont le risque de cancer est aussi élevé? La seule façon de faire serait de faire payer une prime extrêmement élevée, au point de rendre l'assurance dépourvue d'intérêt pour l'acheteur.
On pourrait penser qu'il y a une solution simple : la compagnie d'assurance ne peut pas disposer d'informations génétiques sur l'assuré, ni utiliser celles-ci pour refuser de l'assurer. L'analyse économique montre que cela ne résout rien, bien au contraire. Si seuls les assurés ont ce genre d'informations, les compagnies d'assurance vont voir affluer des gens à risque élevé et vont, préventivement, accroître le montant des primes pour tous, ce qui dissuadera les personnes les moins risquées de s'assurer, déclenchant le cycle qui rend l'assurance impossible. L'assurance-décès invalidité, l'assurance santé, seront les premières touchées. Puis, toutes celles qui en dépendent. Qui vendra un crédit immobilier à une personne dont le risque de décès est élevé (ou, qui acceptera d'assurer ce crédit)?
La seule existence de cette information génétique pose le problème, et celui-ci ca s'accroître, au fur et à mesure des avancées scientifiques. Les tests qu'a effectués Angelina Jolie coûtent cher, mais leur prix baisse à toute vitesse. Et combien de temps avant que leur remboursement ne soit demandé par les assurances sociales? Il est très difficile de remettre Pandore dans sa boîte lorsque celle-ci a été ouverte. Et ce n'est que l'un des multiples problèmes posés par ce genre de tests génétiques.
En tout cas, il est fort possible qu'Angelina Jolie préfigure, dans une cinquantaine d'années peut-être, un monde dans lequel il sera aussi difficile de trouver des assurances décès, des assurances-santé, que des assurances-divorce aujourd'hui.