Alors que le chômage bat tous les records en France et en Europe, La chancelière allemande a trouvé une explication: Le salaire minimum trop élevé. Il faut comprendre ces propos dans le contexte de la campagne électorale allemande, mais le message implicite adressé aux pays européens à fort chômage est très clair : le chômage y est dû au coût du travail trop élevé, sur lequel il faut agir. Est-ce bien certain?
Salaire minimum et chômage
L'analyse économique, sur le sujet, est assez circonspecte. Un salaire minimum trop élevé nuit effectivement à l'emploi; mais un salaire minimum fixé à un niveau raisonnable n'a pas cet effet, et peut même avoir un impact positif. Ce n'est donc pas tant le salaire minimum en général qui peut poser un problème, mais un niveau trop élevé. Il faut donc savoir si le salaire minimum actuel (charges sociales incluses) est à un niveau susceptible de générer du chômage.
Mais il est très difficile de répondre à cette question. La technique consiste à essayer d'évaluer l'impact de hausses de salaire minimum sur l'emploi; Francis Kramarz estime par exemple qu'une hausse de 1% du SMIC détruit entre 15 000 et 25 000 emplois. Certains partagent cette évaluation, d'autres sont plus nuancés, d'autres enfin considèrent que le SMIC est une excellente "arme anticrise".
Le problème, c'est qu'il est impossible de trancher entre ces approches, parce que le salaire minimum est un facteur, parmi une myriade d'autres, qui détermine l'emploi. Et que les employeurs peuvent réagir de nombreuses façons différentes à une hausse du SMIC. Ils peuvent conserver le même nombre de salariés, mais réduire le nombre d'heures de travail tout en exigeant la même charge des employés. Ils peuvent dégrader les conditions de travail des employés (baisser un peu le chauffage) pour compenser. Ils peuvent la répercuter sur les prix de vente, la faisant supporter par les consommateurs; ils peuvent réduire leurs marges, ce qui aura indirectement un effet sur l'emploi en réduisant leurs investissements, etc. Une hausse de salaire minimum aura des effets très différents selon le contexte macroéconomique. Bref, l'évaluation est extrêmement difficile à faire.
Cependant, si le SMIC avait un effet négatif majeur, celui-ci serait bien visible. Le fait qu'il soit si difficile de conclure de manière définitive conduit à considérer que le SMIC, tel qu'il est, n'est pas à lui seul le déterminant majeur du chômage en France.
Les salaires minimum dans la zone euro
Les employeurs peuvent aussi s'adapter à un salaire minimum élevé en déplaçant leur production dans un pays dans lequel les salaires sont plus faibles pour une productivité identique. Ils s'exposent néanmoins à toute une série de contraintes: risque de fluctuation des taux de change, productivité plus faible à l'étranger, difficulté de contrôler la qualité de la production dans un pays éloigné, barrières douanières diverses.
Et c'est là que se pose la vraie question du salaire minimum en Europe. Avec le marché unique, et la monnaie unique, il est très facile pour un producteur européen qui trouve le salaire minimum trop élevé de déplacer sans risque sa production vers un autre pays dont le salaire minimum est plus faible. Le gouvernement belge s'est par exemple récemment plaint auprès de l'union européenne du dumping social des abattoirs allemands, qui ne sont pas assujettis à un salaire minimum, et gagnent des parts de marché sur des pays à salaire minimum élevé.
Lorsqu'on compare le coût du travail entre France et Allemagne, on a souvent tendance à le faire à secteur d'activité identique, pour constater que les salaires allemands sont plus élevés que les français. C'est oublier que la compétitivité allemande est assise aussi sur un coût des services aux entreprises très bas. L'ouvrier chez Mercedes est certes plus coûteux que l'ouvrier chez Peugeot; mais les salaires chez le sous-traitant qui s'occupe de la restauration, du nettoyage de l'usine, le coût des services financiers sont bien plus faibles pour les industries allemandes.
Or il y a 8 millions de salariés allemands - un quart de la main d'oeuvre - qui touchent moins que le salaire minimum français. Dans ces conditions, et indépendamment du rapport entre le salaire minimum français et la productivité du travail, le salaire minimum en France et dans les autres pays d'Europe ne fait que créer des emplois en Allemagne. Auparavant, ce genre de déséquilibre créait un excédent commercial allemand, qui poussait à la hausse le Deutschmark et rétablissait ainsi la compétitivité des autres pays; avec l'euro, ce mécanisme d'ajustement n'existe plus.
La véritable alternative
Angela Merkel n'a donc pas entièrement tort: la conjonction d'une monnaie unique et de réglementations nationales différentes sur le salaire minimum est intenable. Il n'y a que trois issues possibles:
- Soit l'Allemagne adopte, à son tour, un salaire minimum, de l'ordre de 8€50, comme le préconisent les partis de gauche allemande.
- Soit le salaire minimum disparaît, ou devient un salaire minimum négocié par branche, dans les autres pays de la zone euro;
- Soit la zone euro explose, les monnaies nationales sont rétablies et les taux de change assurent l'ajustement entre les niveaux de salaires.
Chacun peut avoir son issue préférée. A gauche, on privilégiera un salaire minimum européen; les libéraux préféreront une réduction du salaire minimum français; les souverainistes préféreront la fin de l'euro.
Mais s'imaginer qu'il est possible d'échapper à ce dilemme, c'est se bercer d'illusions. Plutôt que se demander s'il faut être gentil ou méchant avec Angela Merkel, les politiques français devraient clairement dire laquelle de ces trois options a leur préférence.