Chômage des jeunes : un plan pour rien?

Après un sommet européen spécial, en fin de semaine dernière, l'Europe a annoncé son grand plan de lutte contre le chômage des jeunes. 8 milliards d'euros, peut-être plus ultérieurement, dont 600 millions pour la France. Il est exact, comme l'indique le graphique ci-dessus, que le chômage des jeunes augmente très fortement et atteint des niveaux très élevés, près de 60% en Espagne et en Grèce, 26,5% en France. Mais les annonces européennes donneront-elles des résultats? Voici quatre raisons d'en douter.

1 Il n'y a pas de problème de chômage des jeunes en Europe

Cela peut surprendre, mais c'est pourtant le cas : il faut se méfier des chiffres extrêmement élevés de chômage des jeunes, qui donnent immanquablement lieu à des annonces du genre "plus de la moitié des jeunes espagnols au chômage" ou autres "un jeune français sur quatre au chômage".

Comme le rappelle inlassablement l'économiste Olivier Bouba-Olga, le taux de chômage est le rapport entre le nombre de chômeurs et les actifs (dont le nombre est la somme de ceux qui travaillent + les chômeurs). Or entre 15 et 24 ans, on a plus de chances d'être au lycée, ou de suivre des études, que de travailler ou de chercher du travail. Résultat, le taux de chômage est calculé sur le petit nombre de jeunes qui sont en activité, ce qui donne lieu à des chiffres de chômage des jeunes très exagérés. Imaginez par exemple que sur 100 jeunes, 50 fassent des études; que parmi les 50 restant, 10 soient au chômage. Le taux de chômage des jeunes sera alors mesuré à 10/50 soit 20%; alors qu'en réalité, seuls 10% de la classe d'âge est réellement au chômage.

Lorsqu'on corrige cet effet - en calculant le ratio de chômage - les chiffres deviennent bien moins spectaculaires, comme l'indique ce tableau d'Eurostat. Le taux de chômage des jeunes de la zone euro passe de 23,7% à 9,6%. Bien évidemment, c'est un chiffre très élevé : mais ce n'est pas un chiffre significativement différent du taux de chômage des autres catégories.

En somme, l'Europe a un problème de chômage en général, pas un problème de chômage des jeunes.

2 Le vrai problème est un problème de croissance - et c'est une mauvaise nouvelle.

Comme l'indiquait récemment André Sapir, le chômage des jeunes fluctue exactement comme le chômage en général, et suit en Europe l'évolution de la croissance économique; il dépend très peu des mesures du type de celles qui ont été annoncées, liées à l'accès à la formation. L'Europe n'a pas tant besoin d'un programme pour l'emploi des jeunes que d'une stratégie de croissance.

Et c'est ennuyeux, parce que s'il y a bien une chose que l'Europe ne sait pas faire, ce sont les stratégies de croissance. La stratégie de Lisbonne, qui visait à faire de l'Europe "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde" en 2010 n'est jamais allée au delà de la rhétorique boursouflée; En 2010, les européens ont donc décidé... de faire la même chose mais de repousser l'objectif à 2020.

Entretemps s'est greffée la crise de la zone euro, l'équilibre établi autour des politiques d'austérité : les perspectives de retour de la croissance en Europe sont encore plus éloignées qu'elles ne l'étaient en 2000.

3 Les vraies causes du chômage des jeunes sont difficiles à combattre

Il est exact qu'il y a d'importants écarts entre le taux de chômage des jeunes de 7,5% en Allemagne et 60% en Espagne. Dans certains pays, le marché du travail est particulièrement difficile d'accès pour les jeunes. Mais ces écarts entre pays sont exactement les mêmes qu'avant le début de la crise. Si les gouvernements concernés n'ont rien fait avant la crise pour remédier à cela, pourquoi le feraient-ils maintenant?

Ces écarts de chômage des jeunes tiennent en effet pour beaucoup aux différents degrés de protection de l'emploi entre les pays. La forte protection de l'emploi implique en effet que les employeurs rechignent à recruter des jeunes qui n'ont pas fait leurs preuves, s'il est difficile ensuite de les licencier. Cela conduit à un marché du travail dans lequel les jeunes attendent longtemps avant d'accéder à un emploi à statut préservé.

Mais on comprend dès lors pourquoi il est difficile de modifier cette situation : personne n'y est favorable. Les salariés bénéficiant d'une forte protection refusent de voir celle-ci se réduire, étant donné le temps qu'il leur a fallu pour accéder à cette situation; les jeunes ne le souhaitent pas non plus, tant ils attendent pour accéder à un tel emploi protégé. La seule façon de déplacer ce consensus politique en faveur de plus de flexibilité du marché du travail, c'est que la conjoncture économique soit très bonne et que les gens ne soient pas inquiets sur leurs perspectives d'embauche; on en revient au fait que de telles réformes ne peuvent être menées efficacement que dans un contexte de croissance économique forte.

4 Se focaliser sur le chômage des jeunes est contre-productif

On peut comprendre pourquoi les politiques européens se concentrent sur le chômage des jeunes : difficile de trouver cause plus consensuelle, à part peut-être la sauvegarde des bébés phoques. Cela donne l'impression qu'ils "font quelque chose" pour les problèmes des vrais gens et ne se contentent pas de politiques d'austérité et de croupion d'union bancaire. Mais cette focalisation est contre-productive.

Au pire, elle risque de conduire à la mise en place de distorsions sur le marché du travail qui avantagent les jeunes, au détriment d'autres catégories; comme par exemple des exemptions fiscales ou des aides ciblées. Le problème, comme le rappelle Daniel Gros, c'est que cette catégorie "jeunes" est inadaptée pour les politiques publiques, puisqu'elle comprend tous les 15-24 ans. Or il est très contestable de souhaiter favoriser l'emploi pour la moitié d'entre eux d'âge inférieur à 20 ans.

En quoi est-il préférable de favoriser l'embauche d'un jeune de 16 ans, qui sera probablement peu qualifié, et qui ferait mieux de terminer ses études secondaires, plutôt qu'une jeune mère célibataire de 30 ans qui a besoin d'un emploi pour nourrir son enfant? Alors que l'on élève partout l'âge de la retraite, en quoi l'emploi des jeunes serait-il un plus grand problème que celui des seniors? Ne vaut-il pas mieux que le père de 55 ans soit employé, plutôt que son fils de 16 ans?

Quand bien même on éviterait cet effet de vases communicants, consistant à aider l'emploi des uns au détriment des autres, sans stratégie de croissance, ces politiques européennes ciblent des sujets (la formation en particulier) qui n'ont aucun impact mesurable sur le chômage des jeunes. La déception des européens et des personnes visées risque donc d'être à la mesure des effets d'annonce: très forte. Au bout du compte l'Europe en sortira un peu plus discréditée, à l'avantage de personne.