Les dangers des banques
Quels sont les problèmes posés par les banques? Si vous suivez l'actualité, vous lirez pour cette question les réponses suivantes :
- les banques sont trop grosses : elles représentent un tel poids dans les économies nationales qu'il est impossible d'envisager de les laisser tomber (too big to fail). Cela oblige les pouvoirs publics à les sauver lorsqu'elles sont en difficulté, sous peine d'assister à un effondrement économique général. Cela, du coup, les incite à prendre trop de risques puisqu'elles savent qu'elles seront sauvées par le contribuable.
- les banques spéculent trop : elles prennent trop de risques, et pour cela ont recours à des produits sophistiqués et opaques, qui cachent les vrais risques, trompent les clients, et causent de l'instabilité financière.
- Les salaires dans les banques sont trop élevés, en particulier les bonus, qui encouragent à la prise de risque excessif et au court-termisme.
Les nouvelles réglementations qui se sont imposées aux banques depuis la crise se sont en général concentré sur ces problèmes, avec plus ou moins de succès. L'Union Européenne veut réguler les bonus; Les nouvelles réglementations en France, Grande-Bretagne et USA visent à séparer les activités spéculatives des autres activités bancaires, voire interdire aux banques certaines activités.
Traiter la cause, pas les symptômes
Ces réglementations, pourtant, suscitent le scepticisme. Certains les trouvent trop timides; surtout, elles donnent l'impression de s'appuyer sur un diagnostic insuffisant. Les bonus, en soi, ne sont pas un problème : ils étaient même à l'origine un mécanisme permettant aux banques de réduire les risques liés à leur métier. Ce ne sont pas les grandes banques qui ont eu des problèmes, mais des institutions de taille modeste; Et ce ne sont pas des produits spéculatifs sophistiqués qui ont coulé les banques irlandaises ou espagnoles, mais des crédits immobiliers on ne peut plus simples.
Pour les économistes Anat Admati et Martin Hellwig, auteurs récents de "the banker's new clothes", dont la couverture illustre ce post, et qui a suscité énormément de commentaires parmi des économistes de tout bord, ces réglementations vont échouer parce qu'elles traitent des symptômes, pas la cause profonde du problème posé par les banques : elles ont beaucoup trop de dettes, et pas assez de capitaux propres, pour se financer. Lorsque les banques prêtent 100, 97 a été emprunté, et seulement 3 proviennent des capitaux apportés par les actionnaires - un ratio d'endettement sans équivalent dans les autres secteurs de l'économie.
L'endettement et l'effet de levier
Supposons que vous connaissez un investissement qui rapporte 10% de gain, et que vous avez 100 euros. Vous pouvez mettre tout votre argent dans ce placement, et l'an prochain, vous aurez 110 euros. Mais supposez que vous avez la possibilité d'emprunter à 5% : dans ce cas, vous pouvez emprunter 900 euros, et placer du coup 1000 en incluant votre apport. Au bout d'un an, vous touchez 1100 euros. Vous devez alors rembourser 945 euros au titre de votre emprunt, il vous reste 155 euros : votre placement personnel de 100 euros vous rapporte cette fois-ci du 55% de rendement!
Ce mécanisme, appelé effet de levier financier, a cependant un inconvénient. Si votre placement se passe mal, et qu'au lieu des 10% prévus il génère une perte de 8%; dans le premier cas, vous avez investi 100 euros, et vous retrouvez avec 92, ce qui est déplaisant, mais supportable. Par contre, si vous vous êtes endetté, au bout d'un an vous touchez 920 euros, et avez toujours 945 euros à payer; votre apport initial de 100 se transforme en une perte de 15. Si vous n'avez pas d'argent en réserve, vous êtes en faillite.
Plus le recours à l'endettement est important, plus le risque de faillite est élevé : c'est pour cela que les entreprises et les particuliers en général limitent leur endettement, parce que plus personne ne veut leur prêter au delà d'un certain seuil, sauf à un taux d'intérêt prohibitif. Sauf les banques, qui ont des effets de levier considérables.
Ce recours à l'endettement considérable explique les problèmes posés par les banques. L'argent qu'elles prêtent n'est pas le leur, ce qui encourage l'imprudence. En cas de problème, l'effet de levier important les met très vite au bord de la faillite. Enfin, comme les dettes des banques sont en grande partie détenues par d'autres banques, les difficultés de l'une se répercutent très vite dans l'ensemble du système financier.
Le vrai problème des banques n'est pas tant leur taille, mais le fait que cette taille provient d'un ratio d'endettement très élevé; pas leurs activités spéculatives, car des activités bancaires très banales peuvent tout aussi bien être très risquées, mais l'incitation à la prise de risque liée à l'endettement; les bonus très élevés des traders sont eux permis par la rentabilité élevée, artificiellement entretenue par l'endettement, des capitaux investis dans les banques. La force de l'argument de Admati et Hellwig est de montrer que tous les problèmes des banques se ramènent à un problème de fond : l'effet de levier. Comme le constatait Andrew Haldane, la caractéristique commune aux banques qui ont fait faillite lors de la crise était simplement leur recours à l'endettement.
Quelle solution?
Pour les auteurs, une seule solution: augmenter réglementairement le capital que les banques détiennent par rapport à leurs prêts. Ils préconisent de passer des 3% actuels, imposés par Bâle 3, à un ratio de 20 ou 30%, ratio qui serait généralisé à toutes les institutions dont le métier se rapproche de celui des banques (comme les acteurs du shadow banking). Cette règle aurait l'avantage de la simplicité, et limiterait la possibilité de manipulation. Cette recommandation suscite les hurlements des banquiers, qui ont déjà consacré des efforts considérables pour alléger la pourtant très modeste contrainte de 3% dans Bâle 3.
C'est qu'un ratio de capital élevé a tout pour leur déplaire. Il réduit le taux de profit, donc les bonus et les salaires versés; L'application de cette règle obligerait les banques à conserver leurs profits en réserves pour augmenter leurs capitaux propres, au lieu de verser des dividendes; immanquablement, les actionnaires demanderaient alors que les bonus soient touchés aussi. Le vrai sauvetage des banques n'est pas intervenu avec les garanties publiques au moment de la crise : il se produit en ce moment même, alors que les banques distribuent des dividendes au lieu d'augmenter leur capital, préparant la voie aux crises prochaines.
Admati et Hellwig apportent des réponses convaincantes aux arguments avancés contre ces ratios de capital. Contrairement au discours inlassablement répété par les banquiers, cela n'a pas de raison de beaucoup augmenter le coût des emprunts; Et ce surcoût serait compensé par le moindre risque posé par le comportement du système bancaire. Appuyé sur une analyse économique solide, dépourvu du jargon habituel qui laisse penser que les questions bancaires sont un débat d'expert, leur livre sort le débat sur les banques des impasses dans lesquelles celui-ci se trouve.