A Chypre, le retour de la crise de la zone euro?

Si l'on en croit nos dirigeants, la crise de la zone euro est derrière nous. C'est une bien curieuse conception de la fin de crise alors que le chômage dans la zone euro bat tous les records; mais il est vrai que depuis les annonces de la Banque Centrale Européenne, on en a fini des sommets de la dernière chance, se terminant en pleine nuit par un accord à l'arraché et une conférence de presse franco-allemande proclamant que la zone euro est sauvée jusqu'au moins la semaine suivante. Il est vrai que ce genre de spectacle intéresse bien plus les dirigeants européens que des broutilles comme la lutte contre le chômage.

Mais ils pourraient bien être de nouveau servis, par les problèmes de Chypre. Le sujet n'est pas très à la mode pour le moment, mais pourrait le devenir. L'économiste Jacob Funk Kierkegaard en a détaillé les principales caractéristiques :

Les ingrédients de la salade chypriote

Le problème chypriote est avant tout un problème bancaire, se rapprochant de la crise irlandaise : le système bancaire national représente 7 fois le PIB du pays, et a subi de lourdes pertes suite au défaut partiel du gouvernement grec (les économies grecques et chypriotes sont très imbriquées). Si l'on y ajoute les nouvelles réglementations bancaires européennes, le secteur bancaire du pays a besoin d'une recapitalisation de l'ordre de 10 milliards d'euros pour éviter l'arrêt complet du système monétaire. Selon le mécanisme désormais classique en Europe, la crise bancaire a précipité une crise économique - le chômage a pratiquement doublé en un an, passant de 8 à 15% - et des problèmes de financement pour le secteur public : le gouvernement chypriote aurait de son côté besoin d'un prêt d'environ 7 milliards d'euros.

Ces montants peuvent sembler ridicules après ce à quoi on a été habitués dans la crise de la zone euro: mais comme l'économie chypriote est très petite (18 milliards d'euros de PIB/an) cela représente un montant énorme pour ce pays, qui ne pourra pas se débrouiller sans aide. Le gouvernement en a donc demandé une, arguant de ce que ses problèmes viennent largement de la façon dont l'Europe a (mal) géré la question grecque. Mais c'est là que les problèmes commencent :

- Une très large part des dépôts dans les banques chypriotes provient d'origines incertaines en Russie. En somme, renflouer les banques chypriotes revient, d'après les services secrets allemands, à renflouer des oligarques, des mafieux blanchissant leur argent, et des hommes d'affaires russes.

- Dans une année électorale en Allemagne, cette perspective sera dure à vendre à l'électorat. Chypre est à la fois un haut lieu du blanchiment d'argent, mais aussi, un paradis fiscal pratiquant un taux d'impôt sur les sociétés très bas. Les politiques dans de nombreux pays exigent donc que le pays modifie son système fiscal comme condition d'une aide (un chantage qui avait déjà été tenté vis à vis de l'Irlande); et refusent que l'argent prêté par leurs contribuables serve à renflouer des mafieux russes. Même si les montants considérés sont très faibles, la pilule aura du mal à passer, obligeant Angela Merkel à être plus exigeante qu'il ne le faudrait vues les circonstances.

- Les montants sont faibles mais énormes en proportion de l'économie chypriote. La dette sur PIB du pays est pour l'instant aux alentours de 70%, mais se rapprocherait des 200%, posant des questions sur sa capacité de remboursement future. Le FMI risque dans ces conditions de refuser de participer, accroissant le coût pour les autres pays européens.

- L'actuel président chypriote est un communiste bon teint, à l'ancienne, qui a opposé une fin de non-recevoir à toutes les demandes de la troika conditionnelles à l'aide (comme des privatisations ou un plan d'austérité budgétaire). Résultat, les négociations sont arrêtées : les dirigeants européens attendent les élections de février, auxquelles l'actuel président ne se représente pas, et qui devraient si l'on en croit les sondages être remportées par un candidat de droite pro-européenne, Anastasiades.

- Le problème étant que le gouvernement chypriote n'a de ressources que jusqu'au mois de mars. Entre le second tour et cette limite, le temps sera très réduit pour le nouveau gouvernement qui devra prendre connaissance de l'ampleur exacte du problème et négocier avec la Troika. Pour l'instant tout est calme, mais un gros sentiment d'urgence pourrait poindre d'ici un mois.

Un nouveau psychodrame dans la zone euro?

Le problème pourrait donc être simple et limité, mais le contexte chypriote rend sa résolution bien plus compliquée qu'il ne le faudrait. On peut s'attendre donc à un retour des inquiétudes. Comme toujours dans ces négociations, personne n'a envie d'aboutir à un échec, un défaut de paiement chypriote qui recréerait une situation difficile : si les européens sont incapables de résoudre un problème aussi mineur, comment espérer qu'ils arriveront à résoudre leurs autres problèmes?

Un défaut partiel des banques chypriotes n'est pas une solution : l'essentiel de ce qu'elles doivent n'est pas sous la forme d'emprunts. Pour rassurer les électeurs allemands, un plan pourrait inclure un contrôle sur le sauvetage des banques, dans laquelle les créanciers douteux ne seraient pas remboursés. Encore faut-il que le gouvernement chypriote l'accepte et que ce soit réalisable.

Se pose également la question de l'attitude de la Russie. Le pays a déjà apporté une aide à Chypre, sous forme d'un prêt au gouvernement. Ce prêt pourrait être rééchelonné dans le cadre d'un accord général - à condition que la Russie l'accepte. Elle pourrait aussi participer au renflouement des banques chypriotes, puisque ce sont des citoyens russes qui en seraient bénéficiaires; pour le gouvernement russe, une telle participation serait sans doute moins gênante que l'intrusion d'inspecteurs de l'Union Européenne dans les banques chypriotes, qui révéleraient publiquement l'ampleur des fonds sortis de Russie alors que le gouvernement russe regardait à côté. Mais le comportement russe est une grande inconnue.

En somme, pour les amateurs du genre, la crise chypriote est prometteuse. Electeurs allemands chauffés par leur presse nationale et indignés de devoir aider la mafia russe, compte à rebours pour des négociations de la dernière chance, questions géopolitiques (pour peu que l'Union Européenne conditionne son aide à des progrès sur la question de la réunification chypriote, cela pourrait même amener la Turquie dans l'affaire); la crise chypriote à venir peut justifier l'achat de quelques paquets de pop-corn.