La question se pose après chaque catastrophe : au delà des conséquences humaines, des drames, des destructions, quelles en seront les conséquences économiques? Plusieurs idées s'affrontent.
Une première réaction consiste à se dire que la destruction pourra avoir un effet positif sur l'économie. Pour reconstruire les routes, les infrastructures dévastées, les voitures, les maisons détruites, il va falloir embaucher et relancer la demande. Cela va bénéficier à l'industrie automobile, au BTP, etc. Alors que l'économie américaine connaît un fort chômage, n'est-ce pas exactement ce dont elle a besoin?
La vitre brisée contre l'équilibre de sous-emploi
La réponse à cette question est en fait assez compliquée. En temps normal, lorsque l'économie est au plein emploi, certes une catastrophe naturelle accroît l'activité dans les secteurs qui doivent remplacer ce qui a été détruit; mais cela se fait au détriment d'autres industries. Les gens qui doivent remplacer leur voiture ne pourront pas partir en vacances; les compagnies d'assurance qui vont devoir payer des remboursement élevés vont devoir élever leurs primes pour compenser, réduisant d'autant la consommation. C'est ce qu'on appelle la parabole de la vitre brisée, décrite au 19ième siècle par l'économiste pamphlétaire Frédéric Bastiat.
Mais cela repose sur une hypothèse forte, celle du plein emploi. L'effet est-il identique dans une économie dans laquelle il y a un fort chômage avant la catastrophe? Supposons que le chômage, au départ, soit dû à une insuffisance de demande globale, dans laquelle les entreprises renoncent à embaucher parce qu'elles n'anticipent pas assez de demande pour leurs produits; faute d'emploi, les gens n'achètent pas suffisamment, confirmant les anticipations des entreprises, et l'économie reste dans un "équilibre de sous-emploi".
Dans ces conditions, une catastrophe peut avoir, au bout du compte, un effet positif, en modifiant brusquement les anticipations, et en produisant une hausse instantanée de la demande. Celle-ci ne vient alors pas empiéter sur les autres activités, puisqu'il y a des ressources disponibles et prêtes à être utilisées : des chômeurs qui recherchent un emploi, des machines qui ne sont pas utilisées à plein. Cette situation a été rencontrée à quelques occasions dans l'histoire : seule la seconde guerre mondiale a permis aux Etats-Unis de sortir réellement de la crise des années 30; et après celle-ci, la reconstruction en Europe a conduit à une croissance extrêmement rapide, ouvrant la voie aux trente glorieuses.
lever les blocages psychologiques et politiques
Cela pose néanmoins un problème. Si effectivement une économie connaît une demande insuffisante, qu'il suffit d'élever la demande pour rétablir le plein emploi, pourquoi avoir besoin préalablement de tout détruire pour relancer l'activité? Détruire des villes, pour qu'ensuite des entreprises embauchent du personnel pour faire des travaux pénibles et dangereux (drainer des égouts, dégager des arbres et des carcasses de véhicules, etc...) semble une façon bien compliquée de relancer la demande. Si vraiment il faut élever la demande, pourquoi ne pas le faire directement? Le gouvernement pourrait directement décider de construire de nouvelles infrastructures utiles plutôt que d'attendre de reconstruire celles qui ont été détruites par la catastrophe. Ou alors, le gouvernement pourrait directement emprunter pour verser de l'argent à la population (ou baisser ses impôts) pour que les gens consomment plus. Pourquoi attendre une catastrophe naturelle?
C'est qu'à un mauvais équilibre économique peut s'ajouter un mauvais équilibre politique. Comme chacun peut le constater, lorsqu'un économiste dit une chose, il est assez facile de trouver un économiste qui dit exactement le contraire. Il n'y a bien sûr qu'une seule réalité, mais la diagnostiquer correctement est difficile. Surtout que les conséquences d'une erreur sont élevées : si le chômage n'est pas dû à une demande insuffisante, les efforts de relance du gouvernement risquent de simplement augmenter la dette publique et l'inflation, comme lors des années 70-80. Dans ces conditions, l'opposition ne manquera pas de dénoncer l'incurie et la mauvaise gestion du gouvernement. Cette incertitude peut donc créer un blocage politique, dans lequel alors que la relance est nécessaire, elle n'est pas mise en oeuvre.
Dans ce cas, une catastrophe naturelle, ou une guerre, change les perspectives et conduit tout le monde à accepter de mener la relance nécessaire. L'économiste Paul Krugman, récemment, a ainsi expliqué qu'il faudrait la menace d'une invasion extra-terrestre pour pousser le gouvernement américain à augmenter ses dépenses suffisamment, et que cela pourrait mettre fin au chômage de masse aux USA en 18 mois.
les effets négatifs risquent de l'emporter
A défaut d'invasion extra-terrestre, l'ouragan Sandy peut-il jouer ce rôle et pousser à une relance de la demande? Il y a plusieurs raisons d'en douter. La première, c'est que les régions touchées par l'ouragan comptent parmi les plus productives des Etats-Unis. Si effectivement réparer les infrastructures, pomper l'eau qui a envahi le métro, peut créer des emplois, entretemps, des salariés bien plus productifs et bien mieux rémunérés ne peuvent pas aller travailler. Des commerces ne sont pas ouverts, faute de clients; des marchandises ne sont pas livrées. Cela génère un coût direct probablement bien plus important que ce qui est "gagné" par la reconstruction.
Par ailleurs, rien ne garantit que l'on reconstruise à l'identique ce qui a été détruit, qu'on puisse revenir comme avant. L'économiste James Hamilton a montré qu'après les ouragans dans le golfe du Mexique, les infrastructures pétrolières n'avaient jamais été reconstruites. On peut craindre pour New York que de nombreuses firmes, plutôt que d'attendre que les réseaux de transport et de distribution d'électricité ne soient reconstruits, préfèrent s'installer ailleurs et ne reviennent jamais, réduisant la production future de la ville. Il risque donc de ne pas y avoir de miracle : l'ouragan ne relancera pas l'économie américaine.