Le chant du cygne des vieilles élites?

Il ne faut pas aller dans les endroits où on dit du mal de vous. En général, cela ne sert à rien et c’est désagréable. Benjamin Netanyahu a donc décidé de ne pas mettre les pieds à la prestigieuse conférence de Herzlia, où on a beaucoup parlé de lui et pas en bien. Ses deux anciens ministres de la défense ont été particulièrement durs. Le premier à proférer des méchancetés fut Moshé Boggie Yaalon: « Israël, à ce stade, et pour l’avenir prévisible, ne fait pas face à une menace existentielle. Il faut cesser de faire peur aux citoyens en leur donnant le sentiment que nous sommes menacés par une nouvelle Shoah. Il est faux d’imaginer qu’en terrorisant les citoyens, on leur fera oublier la corruption, le fossé social, le coût de la vie élevé et les autres défis auxquels le pays fait face. Cela ne signifie pas qu’il faut renoncer à être vigilant. Les problèmes de sécurité sont réels et très sérieux. Nous avons besoin d’un leadership qui dirigerait le pays avec une conscience morale, et non pas en fonction des sondages d'opinion. L’actuel leadership est occupé à attiser les passions, la peur entre Juifs et Arabes, entre la droite et la gauche, et les différents groupes ethniques afin de rester au pouvoir. Le rôle d’un leadership doit être de rassembler la nation et ne pas la diviser ». Et Yaalon d’annoncer qu’il a l’intention de se présenter aux prochaines élections et briguer la direction du pays.

Le plan secret de l'annexion
Ehoud Barak, ministre de la défense avant Yaalon a été encore plus mordant. Il accusé Netanyahu de cacher ses véritables intentions. D’avoir « un plan secret qui va inexorablement créer un [seul] état [et non la solution à deux états]. Ce sera inévitablement soit un ‘’état apartheid’’ qui affrontera la résistance de ceux qu’il contrôlera, sera ostracisé par le monde entier et finira par s’effondrer. Ou ce sera un état binational avec une minorité juive d’ici une génération ou deux, qui très certainement conduira à une guerre civile entre les deux populations. » Selon Barak, « un noyau fanatique à l’idéologie extrémiste a pris le contrôle du Likoud dont il a purgé tous ceux qui préféraient les valeurs démocratiques au populisme. Netanyahu est responsable des actes de ce gouvernement et de ses échecs ; que ce soit en raison de ses faiblesses, de sa personnalité, du syndrome de Stockholm ou de ses positions politiques inspirées par sa famille et ses proches ». Barak a prononcé le mot que l’on aime pas entendre en Israël. Verbatim : « Les projets de loi soumis par le pouvoir représentent un processus d’érosion de la démocratie et contiennent les graines du fascisme qui s’est installé au sein de ce gouvernement. Si cela ressemble à des graines de fascisme, fonctionne comme des graines de fascisme, aboie comme des graines de fascisme, alors ce sont bien des graines de fascisme ! ». Bigre !
Réactions du Likoud : « La conférence de Herzlia est un repaire de gauchistes ( !!!!). Ce sont des déclarations de « has been ». Barak a été un très mauvais Premier ministre ! Avec Yaalon, il cherche à retrouver les feux de la rampe. »

L'angoisse de Barak la panique de Yaalon
Il faut relever un élément dans la démonstration de Barak. Nul, mieux que lui connaît Benjamin Netanyahu. Il a été son chef au sein du commando d’état major, dans les années 70, il fut son ministre de la défense pendant quatre ans, le voyant presque quotidiennement, préparant la frappe sur les installations militaires iraniennes. Et il n’aurait pas remarqué son idéologie annexionniste ? Il ne l’aurait jamais entendu répéter ce qu’il avait déclaré devant ma caméra, dés 2002 : « J’ai accepté le retrait partiel de Hébron [en 1996] avec l’intention de garder le reste de la Cisjordanie » Voir ce passage dans mon film https://www.youtube.com/watch?v=pmNGwtGCraw En l’occurrence, Barak se réveille bien tard. Ses déclarations sont, sans aucun doute, à mettre sur le compte de l’angoisse qui a fini par le saisir, face à la situation catastrophique où se trouve le pays. Un état des lieux auquel il a largement contribué.
Yaalon, lui aussi donne l’impression d‘être pris de panique. Est-ce le fait, général aux brillants états de service, d’avoir été remplacé par l’ex caporal magasinier, Avigdor Lieberman ? Peut être mais, sa démission a suivi l’affaire du soldat, qui, à Hébron, a tué un palestinien blessé après avoir agressé un militaire. Ses supérieurs, les chefs de l’armée, ont condamné son geste, et la police militaire l’a arrêté. Mais, très vite, le public israélien a montré une fois de plus qu’il avait une vision différente des notions de droit et de justice. 68 % des personnes interrogées, dans le cadre d’un sondage, ont justifié l’assassinat du terroriste, et 57% considéraient qu’il ne fallait pas traduire le soldat en cour martiale.

Processus nauséabonds
A cela, il faut ajouter les prises de position du général Yair Golan, le chef d’état major adjoint qui, avant le jour de la commémoration de la Shoah, avait déclaré : « Une chose m'effraie. C'est de relever les processus nauséabonds qui se sont déroulés en Europe en général et plus particulièrement en Allemagne, il y a 70, 80 et 90 ans. Voir des signes de cela parmi nous en cette année 2016. La Shoah doit inciter à une réflexion fondamentale sur la façon dont on traite ici et maintenant l'étranger, l'orphelin et la veuve. […] Il n'y a rien de plus simple que de haïr l'étranger, rien de plus simple que de susciter les peurs et d'intimider…"» Voir l'analyse de Danièle Kriegel

Le racisme
La droite gouvernementale n’avait pas apprécié. Golan et ses collègues généraux ont donc eu droit à une véritable campagne de « shaming » sur les réseaux sociaux. Yaalon, ministre de la défense, a, bien entendu, soutenu l’état major face à cette campagne haineuse. Netanyahu s’est rangé du côté de l’opinion publique et négocié un nouvel accord de coalition avec le parti russophone d’Avigdor Lieberman. Yaalon, sur le point d’être limogé, a préféré démissionner en déclarant : « J’ai combattu de toutes mes forces les expressions d’extrémisme, de violence et de racisme qui menacent la robustesse de la société israélienne, s'infiltrent dans l'armée en lui nuisant »

L'inimitié de la nouvelle élite
Tout cela, démontre une fois de plus, la profonde transformation de la société israélienne. Alouf Ben, le rédacteur en chef du quotidien Haaretz, l’a analysée dans un article publié par la revue américaine Foreign Affairs sous le titre : « La fin du vieil Israël » Extraits : « Israël – au moins sa version séculaire et progressiste qui avait captivé l’imagination du monde- appartient au passé. […] D’ores et déjà, la transformation est spectaculaire. Les dirigeants actuels du pays, dirigés par Benjamin Netanyahu, qui, depuis l’élection s’est transformé en extrémiste de droite- considèrent le principe démocratique comme synonyme du pouvoir absolu de la majorité. Ils n’acceptent pas les limites imposées par le processus judiciaire, ou la nécessité de protéger les minorités. » Alouf Ben rappelle les états de service de Yaalon. Membre du Likoud, général, ancien chef d’état major, opposé aux accords d’Oslo, mais profondément attaché à la laïcité et au droit. « Cela faisait de lui un des derniers membres de la vieille garde du style de Ben Gourion. Dans l’Israël de Netanyahu, le seul fait de se prononcer en faveur d’une procédure judiciaire pour un crime avéré suffit à vous attirer l’inimitié de la nouvelle élite et de ses supporters» L’analyse d’Alouf Ben se trouve ici :
Mon article sur le maccarthysme au pouvoir en Israël est

PS: Il faut remarquer que la plupart des grands médias évitent d'évoquer cette transformation profonde de la société israélienne. Est-ce par peur d'être taxé d'antisémtisme?