publié dans Libérations aujourd'hui 6.10.2011
Ô combien elle fut douce, pour Benyamin Nétanyahou, cette année juive qui vient de se terminer ! Car 5 771, selon le calendrier hébraïque, a vu sa victoire sur Barack Obama et son administration démocrate. Pour comprendre il faut revenir à la grande crainte de 2009. L’Amérique venait d’élire un nouveau président alors que ses alliés néoconservateurs et républicains avaient quitté l’antichambre du pouvoir à Washington. Au mois de mai, la première visite du Premier ministre israélien à la Maison Blanche n’annonçait rien de bon. Barack Obama demandait l’arrêt de la construction dans les colonies, ni plus ni moins ! Une exigence répétée deux semaines plus tard dans un grand discours prononcé à l’université du Caire. «Les Etats-Unis, avait dit le président américain, ne reconnaissent pas la légitimité de la construction des colonies.» Bigre. Benyamin Nétanyahou a dû faire un pas en avant. Il a prononcé les mots magiques dans un discours, à l’université Bar-Ilan, près de Tel-Aviv, une institution religieuse : «Si nous avons une garantie de démilitarisation, et si les Palestiniens reconnaissent Israël comme l’Etat juif, nous sommes prêts à accepter un réel accord de paix, un Etat palestinien démilitarisé aux côtés de l’Etat juif.»
A Ramallah, Mahmoud Abbas et ses conseillers ont sauté en l’air. Démilitarisation ? Pourquoi pas ! L’Autorité autonome n’a de toute manière pas l’intention de déployer des chars ou des avions de combat en Cisjordanie ou à Gaza. Quant à des arrangements de sécurité, c’est à négocier. Mais, reconnaître Israël comme un Etat juif ? Non. Pourtant, apparemment, cela a déjà été fait. En effet, le 9 septembre 1993, dans une lettre à Yitzhak Rabin, au nom de l’OLP, Yasser Arafat avait reconnu le droit de l’Etat d’Israël et «à vivre en paix et dans la sécurité». Ce faisant, il reconnaissait l’Etat proclamé le 14 mai 1948, par David Ben Gourion en ces termes : «L’Etat juif dans le pays d’Israël qui portera le nom d’Etat d’Israël.» Malgré cela, cette notion de la judaïté d’Israël est reprise régulièrement par Obama et les Palestiniens refusent toujours d’en discuter.
En septembre 2009, sont apparus les premiers signes d’un amollissement de la position du président américain sur la question des colonies. Recevant Nétanyahou et Abbas à New York, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, il a félicité les Israéliens «pour avoir facilité une plus grande liberté de mouvement pour les Palestiniens et a discuté d’importantes mesures pour freiner les activités de colonisation». Plus question d’arrêt. Sous le poids de sondages négatifs en Israël, Barack Obama s’était fait une raison et Avigdor Lieberman, le ministre des Affaires étrangères, n’a pas résisté au plaisir d’exprimer sa satisfaction face à «cette victoire» sur l’idée de gel de la colonisation. Vingt-quatre heures plus tard, Ehud Barak, son collègue à la Défense, autorisait la construction de 37 unités de logements dans une colonie.
Mais pour les dirigeants américains, le dossier n’était pas clos. Le 3 mars 2010, Joe Biden, le vice-président des Etats-Unis a piqué une colère en apprenant, au cours d’une visite officielle à Jérusalem, qu’un nouveau chantier de 1 600 logements venait d’être approuvé dans un quartier ultraorthodoxe de Jérusalem-Est. Résultat : vingt jours plus tard, à la Maison Blanche, Obama infligeait un véritable bizutage à Nétanyahou. Après l’avoir mis en demeure d’accepter l’arrêt de la colonisation, le président des Etats-Unis a laissé seul le Premier ministre israélien, avec ses conseillers, en annonçant qu’il allait dîner avec son épouse et ses filles. Pour la première fois, aucun communiqué et aucune photo sur la rencontre n’ont été publiés.
C’était aller trop loin. Les communautés juives américaines ont mal réagi. Les élus démocrates ont fait savoir à la Maison Blanche qu’ils ne pouvaient pas perdre ce soutien essentiel en plein débat difficile sur la réforme de l’assurance santé aux Etats-Unis. Barack Obama a dû rectifier le tir. Nouvelle invitation à Nétanyahou, quelques mois plus tard, cette fois avec tous les éléments du protocole. Renforcement sans précédent de l’aide militaire à Israël. Livraison de nouvelles bombes antibunker que Tsahal réclamait depuis des années. L’Iran n’a qu’à bien se tenir. Le président américain entamait sa longue marche vers Canossa.
Le 19 mai 2011, il a fait une ultime tentative pour présenter sa vision d’une paix au Proche-Orient. Dans un discours qualifié de «majeur» par ses conseillers, il a proposé de définir la nouvelle frontière sur la base de la «ligne de 1967, avec des échanges de territoires négociés». Pas un mot sur les colonies. Soutenu par ses amis républicains, revenus en force à la Chambre des représentants, Nétanyahou est venu enfoncer le clou à Washington. Dans le salon ovale de la Maison Blanche, il a infligé une leçon de géopolitique au président des Etats-Unis, en lui expliquant, devant les caméras, que la ligne de 1967 était, pour lui, indéfendable. Le tout suivi d’un triomphe devant le Congrès où il a été applaudi à vingt-quatre reprises.
Les jeux sont faits. L’éducation de Barack Obama est terminée. Son discours du 21 septembre, devant l’Assemblée générale des Nations unies, est considéré comme le plus pro-israélien jamais prononcé par un président américain. En un peu plus de deux ans, Benyamin Nétanyahou a gagné sur plusieurs tableaux. L’Amérique est neutralisée et ne parle plus de «colonies» mais de «changements démographiques». De son point de vue, la situation est idéale. Les négociations avec l’OLP sont dans l’impasse. En Cisjordanie, les Palestiniens vivent une autonomie économique partielle sous le contrôle de l’armée israélienne et en coordination avec les forces de sécurité de Mahmoud Abbas. C’était le rêve de Menahem Begin lorsque, en 1979, il a signé les accords de Camp David avec Anouar el-Sadate. Pour le chef historique du Likoud l’autonomie palestinienne devait s’appliquer aux personnes, pas au territoire sur lequel elles vivaient. Ce territoire, Begin en son temps et Nétanyahou aujourd'hui considèrent que c’est la Terre d’Israël. Reste à savoir combien de temps une telle situation peut encore durer.