Dans "Les guerres silencieuses", l'auteur barcelonais Jaime Martin nous fait partager la vie des jeunes espagnols sous Franco. Il y a le service militaire de son père Pepico au coeur du Sahara espagnol en 1962. Trois ans de brimades, d'attente et d'arbitraire au coeur d'une "guerre silencieuse" qui voit Espagne et Maroc se disputer une grande partie du Sahara occidental. Guerre silencieuse car très peu d'informations filtreront à l'époque dans la péninsule ibérique. La BD raconte aussi l'histoire d'amour des parents de l'auteur. Une autre "guerre silencieuse" en quelque sorte pour les jeunes de l'époque qui doivent composer en permanence avec le poids des traditions familiales et de l'église catholique. La troisième "guerre silencieuse", c'est celle de l'auteur face à son sujet. Au fil du récit, Jaime Martin choisit de dessiner aussi la création de la BD, les réunions de famille d'où germe l'idée, les doutes du dessinateur sur l'intérêt de son sujet.
Après "Ce que le vent apporte", l'histoire d'un jeune médecin russe qui fuit la police tsariste en 1916 en se réfugiant au fin fond de l’Oural puis "Toute la poussière du chemin", road-movie sombre sur fond de crise de 1929, Jaime Martin confirme son immense talent pour raconter des histoires simples et fortes et plonger le lecteur dans des univers à chaque fois différents et inattendus. En 1990, Jaime Martin a reçu le prix Révélation Auteur du 8e Salon international de BD de Barcelone, pour "Sangre de Barrio". En 1995, il a reçu le prix Historieta Diario de Avisos du meilleur scénario d'histoire réaliste pour "La Memoria Oscura". En 2008, le prix Mor Vran du Salon du roman policier et de la bande dessinée de Penmarch lui a été remis pour "Ce que le vent apporte".
Jaime Martin a eu la gentillesse de répondre à mes questions :
Après "Ce que le vent apporte" et "Toute la poussière du chemin", vous avez choisi un thème plus personnel dans "Les guerres silencieuses" : la jeunesse de vos parents et le service militaire de votre père au Maroc. Pourquoi ?
Depuis toujours, j'aime bien raconter des histoires dont les protagonistes sont des jeunes. Des jeunes à la limite (de la marginalisation, de l'abandon scolaire, etc), des jeunes en opposition au monde des adultes... D'autre part, mon père nous racontait toujours ses aventures africaines, depuis que nous étions gamins. Plus de 30 ans après, ma mère, mes frères et moi en avions ras le bol. C'est donc, par hasard, chez mes parents, autour de la table que j'ai décidé aborder cette histoire. Pour exorciser, d'une certaine façon, le service militaire de mon père.
Pourquoi avez-vous choisi de dessiner aussi la création de l'album, votre travail ?
Je doutais tout le temps sur la façon d'aborder cette histoire. Au début, j'allais raconter seulement la partie militaire, puis j'ai ajouté la partie civile où j'explique, un petit peu, la situation socio-politique. Un peu plus tard j'ai voulu représenter mes parents et leurs fils de nos jours, afin de montrer le contraste entre les différentes époques. J'étais troublé à cause de tout ça, j'avais peur de me tromper, de faire un album qui n'aurait aucun intérêt.Peut être que j'ai ajouté le processus de l'album pour exprimer mes doutes, pour montrer que ce n'est pas facile de faire une BD, pour avoir votre indulgence si ça ne marche pas.
Ce qui rapproche cet album des deux précédents parus chez Aire Libre, c'est la trame de fond "historique" : la révolution russe, la crise de 1929, ici la guerre d'ifni. Est-ce important de placer vos histoires dans un contexte historique ?
Pas nécessairement. Pendant la fin des années 80 et au début des années 90, j'ai fait beaucoup d'histoires urbaines, inspirées par mes potes. Nous avions la vingtaine et je racontais, d'une certaine façon, ce que nous faisions le week-end (beaucoup de drogues, de rock and roll et presque rien au niveau du sexe). Mais, pour les jeunes qui ont la vingtaine aujourd'hui, peut être que c'est un vrai fond "historique" ! (assez récent, il faut le dire).
Pour lire les premières pages de "Les guerres silencieuses" (coll. Aire Libre, Editions Dupuis) cliquez ici