Le vote des personnes handicapées détermine-t-il le sort de l'élection ?

Le vote des personnes handicapées détermine-t-il le sort de l’élection présidentielle américaine ? A en croire une “légende tenace”, la réponse paraît acquise :

George Bush ayant inscrit dans son programme de campagne, la promesse de faire passer l’ADA (Americans with Disabilities Act), les suffrages des personnes handicapées auraient fait basculer l’élection de son côté en 1988”, rappelle Pierre-Yves Baudot (1), professeur de science politique à l’Université de Picardie.

 

À l’approche de l’élection présidentielle du 8 novembre, la mobilisation de ces quelques 34,5 millions d'électeurs potentiels constitue un enjeu non négligeable pour Hillary Clinton et Donald Trump. Certains chercheurs, comme Douglas Kruse et Lisa Schur (2), vont jusqu’à affirmer que le vote des personnes handicapées pourrait faire basculer quelques-uns des “Swing States” - "la Floride et la Caroline du Nord" - et “déterminer ainsi tout ou une partie de l’issue du scrutin”.

UN POIDS ÉLECTORAL IMPORTANT

Aux États-Unis, les personnes handicapées représentent près d'un cinquième du corps électoral, selon une étude conduite par le Centers for Disease Control and Prevention. Un nombre d’électeurs potentiels non négligeable, d’autant que ce chiffre ne prend pas en compte les familles (30%), les conjoints, les amis ou encore le corps médical, également exposés aux problèmes du handicap.

Dans une élection serrée, la mobilisation  de ce segment de la population est d’autant plus crucial que “leur niveau de participation est inférieur au taux moyen (lui-même peu élevé)”, explique le politologue Pierre-Yves Baudot.

DES POPULATIONS “DISENFRANCHISED”

Mais “dans les bureaux de vote, c’est souvent l’épreuve, confie Lydia X. Z. Brown, une activiste autiste, diplômée de la prestigieuse Université de Georgetown :

Pour beaucoup de personnes handicapées, voter s’avère très difficile : les bureaux de vote sont loins, parfois inaccessibles en transport collectif ou gérés par des personnes qui ne comprennent pas le rôle des aides à la personne, pourtant nécessaires lorsque l’on est invalide. Pire, certains handicapés sous tutelle peuvent être privés de leur droit de vote”.

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Lydia X. Z. Brown, activiste autiste

En 2005, ils étaient 30% à avoir rencontré des difficultés pour se rendre aux urnes. Comme l’explique Pierre-Yves Baudot :

Ces populations font partie de ce que plusieurs spécialistes de la participation électorale appellent des populations « disenfranchised », c’est-à-dire des personnes auxquelles le droit de vote est en pratique retiré, contribuant à cette distorsion de plus en plus insupportable entre l’électeur médian et l’américain moyen, le premier étant blanc, mâle et plus riche que le second”.

La mobilisation des personnes handicapées dépend donc de plusieurs facteurs, à commencer par les politiques publiques de mise en accessibilité des bureaux de vote et les campagnes de communication - particulièrement importantes cette année, autour du hashtag #cripthevote, destiné à favoriser les échanges autour de l’enjeu du handicap, entre les hommes politiques et les électeurs de tout bord.

UN ÉLECTORAT POLITIQUEMENT PARTAGÉ

Contrairement à une affirmation devenue lieu commun, “toutes les personnes  handicapées ne sont pas démocrates”, précise Kathy Brandt, une retraitée aveugle qui s’apprête à voter pour Donald Trump.

Dans  "People with Disabilities: Sidelined or Mainstreamed", Douglas Kruse et Lisa Schur montrent bien qu’en termes de positionnement partisan, les personnes handicapées sont relativement partagées. Les intentions de vote pour l’élection présidentielle de 2016 le confirment : d’après un sondage publié par le Pew Research Center le 22 septembre, l’écart entre Hillary Clinton (47%) et Donald Trump (40%) est de seulement 7 points.

LE SOCIAL AVANT LE HANDICAP

La seule revendication spécifique à ce groupequelle que soit son orientation partisane, est son souhait de voir l’État intervenir davantage dans les politiques d’emploi, d’éducation et de santé.

Sur ce point, “le contraste entre les deux principaux candidats est saisissant”, note un soutien d’Hillary Clinton, qui garde toujours en mémoire l’imitation humiliante d’un journaliste handicapé par Donald Trump.

En réalité, le candidat républicain n’a pas attendu la campagne de la primaire pour afficher son mépris envers les personnes handicapées. Dans "Crippled America" paru en 2011, l’ex-homme d’affaire avait déjà dénoncé l’existence d’un présumé racket des handicapés (Disability racket”), lequel était chiffré, sous sa plume, à 25 milliards de dollars.

Si Hillary Clinton ne propose “pas de solution radicalement nouvelle”, estime Pierre-Yves Baudot - elle indique vouloir appliquer pleinement l’Americans with Disabilities Act adopté en 1990 et révisé par l’American With Disabilities Act Amendment Act ADAAA en 2008. Sa vaste opération de séduction et ses différentes propositions en faveur des personnes handicapées pourraient s'avérer électoralement payant.

Depuis le début de la campagne, la candidate démocrate plaide en effet pour le renforcement des politiques de soutien à l’emploi et d’accessibilité des écoles pour les personnes en situation d’invalidité.

“UNE NOUVELLE MISE EN RÉCIT D’UN PROBLÈME PUBLIC”

Hillary Clinton a fait de la question du handicap l’un de ses thèmes de campagne, “en posant d’abord la question de l’autisme, puis plus frontalement, la question des inégalités économiques liées au handicap à Orlando”, rappelle le politologue Pierre-Yves Baudot.

Pour ce chercheur :

Le discours d’Orlando s’inscrit dans la construction progressive de cet enjeu dont l’équipe d’Hillary Clinton aimerait sans doute qu’il devienne saillant - c’est-à-dire que ce soit l’un des enjeux qui déterminent les choix des électeurs. Il ne s’agit pas, pour elle, de prendre simplement position, tous les candidats le font, mais de prendre possession de l’enjeu en proposant une nouvelle mise en récit d’un problème public.

Ce cadrage autour des inégalités économiques découlant des diverses discriminations dont sont l’objet les personnes handicapées est relativement nouveau, la question ayant aux États-Unis été davantage posée en termes de droits civils qu’en termes de droits sociaux”.

Si, comme l'affirme Douglas Kruse, cette question est susceptible de “déterminer tout ou une partie de l’issue du scrutin”, il est moins sûr, en revanche, qu'elle soit abordée tout court lors du premier débat entre Donald Trump et Hillary Clinton, ce soir.

Clara Tran


FullSizeRender (5)(1) Pierre-Yves Baudot est professeur de science politique à l’Université de Picardie – Jules Verne et chercheur au Centre Universitaire de Recherche sur l’Action Publique et Politique (CURAPP). Il a codirigé, avec Anne Revillard, "L’Etat des droits. Politique des droits et pratiques des institutions" (Presses de Sciences Po, 2015). Ses recherches portent principalement sur les politiques du handicap en France et sur les instruments de réformes de l’administration publique.

 

MJW_7814MJW_7898(2) Douglas Kruse et Lisa Schur sont chercheurs à Rutgers University. Spécialistes du rapport des personnes handicapées à l'économie et à la politique, ils ont publié ensemble "People with Disabilities: Sidelined or Mainstreamed?" (Cambridge University Press, 2014).

Publié par France 2 Washington / Catégories : Non classé