"L'idée qu'un Président puisse être une femme choque"

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Christine Delphy, le 9 février 2016 à la London School of Economics

Depuis le début de la campagne présidentielle américaine, Hillary Clinton et Donald Trump sont au coude à coude dans les sondages. Malgré ses expériences, l'ancienne secrétaire d'Etat ne parvient pas à creuser l’écart avec son rival businessman, ouvertement misogyne et relativement novice en politique. La faute au « sexisme», comme l'a soutenu, dimanche soir, le président Obama ? La campagne présidentielle américaine est-elle structurée par des effets de genre ? Eléments de réponse avec Christine Delphy, sociologue, directrice de recherche émérite au CNRS et cofondatrice avec Simone de Beauvoir, en 1981, de la revue Nouvelles Questions Féministes.                      

FRANCE 2. Le président Obama a affirmé, dimanche soir, à New York, que le sexisme dans la société américaine constituait un frein pour Hillary Clinton. Êtes-vous d'accord avec ce constat?

Christine Delphy. Evidemment, oui. L'idée qu'un Président puisse être une femme choque autant les opinions publiques, sinon plus que celle qu'il puisse être noir. Rappelons qu'aux Etats-Unis, le suffrage a été donné aux hommes noirs un demi-siècle avant les femmes et qu'ils ont pu accéder aux positions de pouvoir, plus rapidement.

FRANCE 2. Hillary Clinton n'hésite pourtant pas à mettre en avant sa féminité. Sur son compte Twitter, elle se définit à travers 10 substantifs. Les termes d’ « épouse », de « mère » et de « grand-mère » arrivent en première position là où celui de « candidate à la présidentielle de 2016 » est placé en dernier. Comment analysez-vous la "présentation de soi" de la candidate ? Que révèle-t-elle de l'usage stratégique de la féminité en politique ?

Christine Delphy. Ce n'est pas un "usage stratégique". C'est se prémunir contre les accusations de ne pas être une "vraie" femme.

FRANCE 2. Quelles sont les particularités des représentations sociales sur les femmes politiques ?

Christine Delphy. Les femmes politiques doivent à la fois être de "vraies" femmes, et donc être incapables d'être présidentes, et démontrer qu'en dépit de cela, elles en sont capables. C'est ce qu'on appelle le double bind, la double contrainte ou injonction contradictoire.

FRANCE 2. Depuis le début de la campagne, les deux candidats ne sont pourtant pas limités à des caractéristiques de genre fixées sur leur sexe : Hillary Clinton est accusée de « froideur » là où Donald Trump est raillé pour son « incompétence » et son « inexpérience ». Assiste-t-on à un glissement des statuts possibles de la féminité et de la masculinité en politique ?

Christine Delphy. Non. Les femmes vont être et sont la plupart du temps condamnées parce qu'elles sont de "vraies" femmes, et en même temps condamnées dès lors qu'elles montrent des traits réservés aux hommes : la "froideur"  –  dont aucun candidat masculin n'a jamais été accusé.

FRANCE 2. La victoire d’Hillary Clinton représenterait-elle, selon vous, une avancée pour les femmes ?

Christine Delphy. Non. Hillary Clinton n'a pas fait de la cause des femmes, son combat principal. Si elle l'avait fait, cela aurait été terrible pour sa candidature. Elle aurait sans doute du inscrire ce combat dans le cadre d'une lutte générale contre les discriminations subies par les minorités.

Propos recueillis par Clara Tran

 

Publié par France 2 Washington / Catégories : Non classé