Depuis le malaise d'Hillary Clinton, en marge des commémorations des attentats du World Trade Center, à New York, et l'annonce retardée du diagnostic de sa pneumonie, la presse sérieuse et tabloïd s'accorde pour dire que la communication de crise de la candidate démocrate est ratée. Peut-on rester présidentiable et parler de sa maladie aux Etats-Unis ? Décryptage avec Pierre-Emmanuel Guigo, chercheur Associé au Laboratoire Communication et Politique (CNRS) et maître de conférence à Sciences Po Paris.
FRANCE 2. Alors qu'une vidéo devenue virale depuis le 11 septembre montre Hillary Clinton chancelante, la candidate a assuré ne pas avoir fait de malaise lundi soir sur CNN. En voulant à tout prix euphémiser ce qu'il s'est passé - elle a évoqué un « vertige », une simple « perte d'équilibre » -, la démocrate ne risque-t-elle pas de renvoyer un sentiment de condescendance, voire d’impunité ?
Pierre-Emmanuel Guigo. Hillary Clinton risque surtout de renforcer son image de froideur déjà très ancrée dans l'opinion et qu'elle avait pourtant tenté d'adoucir en s'affichant notamment avec sa fille ou son mari ou en utilisant les réseaux sociaux. Mais elle est aussi bloquée par son concurrent, Donald Trump, qui est toujours en difficulté et n'ayant guère d'argumentaire solide à avancer, préfère l'attaquer sur sa personne.
FRANCE 2. Au sujet de l'affaire, David Axelrod, conseiller politique de Barack Obama, s’est fendu d’un commentaire acide : « On peut soigner une pneumonie avec des antibiotiques mais quel est le traitement pour un goût maladif du secret qui crée des problèmes à répétition ? » Pourquoi Hillary Clinton ne parvient-elle pas à gagner en transparence depuis le début de la campagne ?
Pierre-Emmanuel Guigo. Il est clair qu'Hillary Clinton n'aime guère se livrer sans tout contrôler. Cela est peut-être dû à sa psychologie, mais surtout à ses expériences personnelles. Il ne faut pas oublier qu'elle a vécu durement le dévoilement non maîtrisé de sa vie privée avec le scandale Lewinsky dans les années 1990.
FRANCE 2. Pourquoi Donald Trump fait-il profil bas depuis ce week-end? La mauvaise santé présumée de sa rivale était pourtant devenue un angle d’attaque incontournable de sa campagne...
Pierre-Emmanuel Guigo. Donald Trump n'avait guère de choix que de changer de stratégie. Il était largement donné perdant dans tous les sondages. Son style tout en excès pouvait répugner les électeurs au moment de mettre leur bulletin dans l'urne. Et le recentrement, après les primaires, est d'ailleurs une stratégie classique de second tour.
FRANCE 2. Pensez-vous que la santé d’Hillary Clinton sera évoquée lors du premier débat entre les deux candidats, qui se tiendra dans l'Etat de New York, le 26 septembre prochain ?
Pierre-Emmanuel Guigo. Assurément. On a déjà vu dans les débats présidentiels des candidats devoir s'expliquer sur leur vie privée. La "peopolisation" du politique et le dévoilement de la vie privée y sont beaucoup plus développés qu'en France. Il y a un souci de transparence qui est bien loin des habitudes françaises. Dès les années 1950, Nixon, alors vice-président avait dû s'expliquer sur les cadeaux qu'il avait reçu et notamment son petit chien Cheekers.
FRANCE 2. On peut donc rester présidentiable et communiquer sur sa maladie...
Pierre-Emmanuel Guigo. Je dirais même que c'est devenu une obligation. Outre l'importance de la vie privée des politiques dans le débat public américain, la santé est un élément crucial de l'exercice du pouvoir. On sait comment les maladies de Georges Pompidou ou de François Mitterrand ont pu peser sur la fin de leurs mandats. En outre, pour la première fois depuis longtemps on a deux présidentiables âgés et les électeurs peuvent donc s'inquiéter de leur état de santé. On retrouve d'ailleurs cela en France avec les attaques sur l'âge d'Alain Juppé qui n'a cessé de se montrer en bonne forme, allant jusqu'à jouer au "beer-pong" avec des jeunes.
Propos recueillis par Clara Tran