Chantal Akerman: A Traveler's Tale (L'histoire d'une voyageuse). C'est ainsi que la National Gallery of Arts de Washington DC a choisi d'intituler sa rétrospective autour de la cinéaste belge, qui a longtemps vécu entre New York et Paris.
La semaine dernière, la galerie a présenté trois de ses films, News from Home, Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles et No Home Movie, et a organisé une conférence autour de l'oeuvre de la réalisatrice. L'occasion de (re)découvrir cette cinéaste majeure, qui s'est peu à peu affirmée comme une figure incontournable du cinéma moderne.
Dans les trois films projetés, la figure de la mère de la réalisatrice a une place cruciale - c'est autour d'elle, Natalia Akerman, rescapée de l'Holocaust, que tourne la caméra dans le dernier film de la cinéaste, No Home Movie. Ce sont ses lettres que lit Chantal Akerman dans News from Home, en y superposant des plans de Manhattan. Et ce sont ses gestes du quotidien qui ont inspiré Jeanne Dielman.
Chantal Akerman s'est suicidé en octobre dernier, un an et demi après la mort de sa mère. No Home Movie est donc son dernier film; il saisit les derniers instants avant la mort de sa mère, et les échanges entre les deux femmes, autour d'un plat de pommes de terre ou par écrans interposés, sur Skype.
La caméra se promène dans l'appartement vieillot de Bruxelles, où les choses n'ont pas changées depuis les années 1980. A travers les fenêtres, dans les embrasures des portes, on a l'impression de s'immiscer, de s'introduire avec délicatesse au coeur de la vie quotidienne. Chantal et Natalia parlent du passé, des moments où la mère venait chercher sa fille à l'école, ou, encore avant, de l'installation de la famille polonaise en Belgique. Elles parlent aussi du présent, de la venue de Sylviane, la soeur, de la chaleur et de la promenade de l'après-midi.
Les temps se superposent les uns aux autres, les espaces aussi: on va de la Belgique à New York, en passant par des plans sur des paysages désertiques ou des arbres pendant une tempête. Tout est mis bout à bout, sur un pied d'égalité, signe du rétrécissement des distances et de l'accélération du temps. "Je te filme pour montrer qu'il n'y a plus de distance," explique Chantal quand sa mère lui demande pourquoi elle la filme sur la petite fenêtre de Skype.
Chantal Akerman, c'est un univers à part, intimiste, oscillant entre l'angoisse et la tendresse - un plaisir de retrouver cet atmosphère à la National Gallery of Arts de Washington DC, et un bel hommage à celle qui s'est nourrie du cinéma expérimental américain.
Anne Pouzargues