On savait depuis 2013 et l'affaire de l'espionnage du téléphone portable d'Angela Merkel que la NSA fouinait dans les affaires des chefs d'états européens, mais les révélations sur la surveillance électronique américaine avaient jusqu'à présent épargné la France. Mais ça, c'était avant.
Wikileaks a publié aujourd'hui une série de documents qui prouvent qu'entre 2006 et 2012, trois présidents français et certains de leur proches collaborateurs étaient scrutés par les grandes oreilles américaines. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont tous les trois été ciblés par la NSA et des conversations au plus haut niveau de l'Etat français ont pu être interceptées.
Libération et Médiapart, ont collaboré avec l'organisation de Julian Assange sur ces révélations.
Les 5 documents publiés par Wikileaks sont classés Top Secret. Ils sont issus du service des synthèses, qui trie les informations marquantes issues des écoutes. Il ne s'agit donc pas d'une transcription des écoutes elles-même, mais des informations jugées significatives par les analystes de la NSA.
Nous les avons parcourues pour vous.
• Des écoutes sur l'organisation de réunions dans la gestion de la crise grecque.
Le document le plus récent, daté du 22 mai 2012, utilise une conversation entre François Hollande et Jean-Marc Ayrault.
Il révèle des détails sur l'organisation de réunions de crise à l'Elysée dans le but de prévoir les conséquences d'une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro. L'analyste de la NSA commente: « Le président Hollande semble inquiet, si la réunion était rendue publique, le fait que Paris considère sérieusement une sortie de la Grèce de l'euro pourrait renforcer la crise. »
Le même document parle aussi d'une réunion avec l'opposition allemande que François Hollande aurait accepté d'accueillir à l'Elysée. Jean-Marc Ayrault aurait insisté sur le secret à tenir, pour éviter de froisser la sensibilité de la chancelière allemande.
Ce document mentionne aussi des « précédents rapports », ce qui laissent à penser que les interceptions présidentielles étaient fréquentes.
• « Une écoute américaine sur les français qui se plaignent des écoutes américaines. »
Ce document, daté de mars 2010 analyse une conversation entre l'ambassadeur de France à Washington de l'époque, Pierre Vimont, et le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte.
Il détaille l'intention de Nicolas Sarkozy de reprocher à Washington son manque de coopération dans le domaine du renseignement. Selon les écoutes de la NSA, le président français reproche aux Etats-Unis...Les écoutes de la NSA. La synthèse analyse la position française: « Le principal obstacle à une coopération renforcée semble être la volonté de Washington de continuer à espionner la France » Vous avez dit ironie?
Le reste du document est consacré, pèle-mêle, à la dispute légale entre Pernod Ricard et Bacardi, dans laquelle le président se serait impliqué à la demande de Patrick Ricard, à la candidature d'EADS pour la fourniture d'avions ravitailleurs à l'armée américaine, à l'envoi d'instructeurs supplémentaires en Afghanistan et « d'autres sujets urgents comme l'Iran, le processus de paix au Moyen-Orient, l'Afghanistan et le Pakistan, le Yémen, la Somalie, le Sahel, la Russia, la Turquie, le changement climatique et la situation financière de plusieurs pays européens. Mais [Levitte] ne donne pas de détails sur ces sujets. »
• Une discussion entre Jacques Chirac et Philippe Douste-Blazy sur les Nations Unies.
Ce document, daté de 2006, concerne les Nations Unies. Il a été partagé avec les 4 partenaires du reseignement électronique des Etats-Unis (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni.)
Jacques Chirac cherche à pousser un candidat - le norvégien Terje Roed-Larsen - au poste de sous-secrétaire général adjoint des Nations Unies, donnant des instructions très précises à Philippe Douste-Blazy, alors envoyé de la France à l'ONU.
Le document est peu flatteur pour l'ancien ministre des affaires étrangères, l'analyste de la NSA s'y amuse entre parenthèses: « L'attitude de Jacques Chirac est peut-être en réponse à la propension de [Philippe Douste-Blazy], amplement documentée dans le passé et ayant déjà entraîné des réprimandes présidentielles, à faire des remarques malvenues ou imprécises. »
• Une conversation entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé sur le conflit israélo-palestinien.
Ce document est daté du 10 juin 2011.
Il révèle que Nicolas Sarkozy était déterminé à ré-engager le processus de paix entre Israéliens et palestiniens, quitte à agir en cavalier seul, sans l'aide des Etats-Unis ou de l'Union Européenne.. Selon le document, Nicolas Sarkozy aurait notamment considéré proposer à Dimitri Medvdev (alors président russe) une initiative pour la paix séparée des Etats-Unis, ou de poser un ultimatum au président américain l'invitant à se prononcer sur la création d'un état palestinien.
• « Nicolas Sarkozy pense qu'il est le seul à pouvoir résoudre la crise financière. »
Le document est daté de 2008, la nature de l'espionnage effectué n'est pas précisée. Le document a été partagé avec les 4 partenaires des Etats-Unis.
« Le président Sarkozy considère qu'il est de sa responsabilité envers l'Europe et le monde de monter au créneau et résoudre la crise financière. [...] Le Président que beaucoup de problèmes économiques proviennent des erreurs du gouvernement américain, mais croit que Washington suit à présent certains de ses conseils. » Sans commentaire
Pas de véritable secret d'état dans ces documents, donc, qui révèlent tout au plus des anecdotes. Le plus intéressant est bel et bien l'existence même des documents, qui prouve que l'état français a pu être espionné électroniquement au plus haut niveau.
Un autre document révélé est une liste de numéros de téléphones à laquelle la NSA prête un intérêt particulier. Ces « sélecteurs », des numéros qui permettent par leur position enviable d'espionner un grand nombre de conversations intéressantes, étaient ciblés pour un développement des capacités de surveillance américaine, par intrusion physique ou informatique.
Il est intéressant de constater qu'un des documents - la conversation entre François Hollande et Jean-Marc Ayrault - est postérieur à la signature d'un accord de partage d'informations entre la NSA et les services français de la DGSE en 2011. Cet accord, qui avait été révélé par Le Monde, était supposément conçu pour éviter ce genre d'intrusions mutuelles. Comme quoi, dans le monde du renseignement, il n'existe pas de vrais alliés.
Comme d'habitude, Wikileaks promet d'autres révélations dans les prochaines semaines.