SEAL Team 6 : Les assassins du président

2 mai 2011, aux alentours de une heure du matin. Abbottabad, Pakistan. 24 membres du Devgru, arrivés à bord de deux hélicoptères furtifs, attaquent un complexe d'habitations au cœur de la ville. Comme les Etats-Unis ne sont pas en guerre avec le Pakistan, les commandos ont été placés sous le commandement du groupe des opérations spéciales de la CIA.

5 personnes trouvent la mort dans ce raid, dont le terroriste le plus célèbre de son temps et ennemi public numéro 1 des Etats-Unis : Oussama Ben Laden. Cette opération, Nepture Spear, est aussi la plus célèbre menée par le Devgru, une section des forces spéciales américaines plus connue sous le nom de SEAL Team 6.

Une section auquel le New York Times a consacré lundi une longue enquête intitulée « L'Histoire secrète de SEAL Team 6 » et sous-titrée: « Une machine à tuer globale et sans contrôle. » Une occasion de revenir sur cette branche de la Marine, partie intégrante de la doctrine militaire de Barack Obama.

1D'où vient la SEAL Team 6?

Le United States Special Naval Warfare Development Group (Groupe de développement des forces spéciales navales de Etats-Unis ou plus simplement Devgru) trouve son origine dans la crise des otages de l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran en 1979. L'opération de secours tourne à la débâcle, deux hélicoptères américains se crashent dans le désert en route pour l'ambassade, tuant huit militaires.

Les Etats-Unis décident alors de la formation d'une nouvelle unité spéciale de la Navy, spécialisée dans les opérations de commando plutôt que dans le combat traditionnel. Les autres unités SEALs, comme celle de « l'American Sniper » Chris Kyle, combattent aussi sur le terrain. C'est la naissance de SEAL Team 6 - le nom est une opération d'intox contre les soviétiques, il n'existait que deux autres équipes SEAL à sa création - qui changera de nom pour devenir Devgru en 1987.

Le commando est particulier même au sein des forces spéciales américaines. Il ne recrute des hommes qu'en provenance des autres équipes SEAL. Pourtant, 50% de ces recrues d'élites ne passent pas les tests d'admission. La Team 6 constitue donc la proverbiale « crème de la crème. »

2Quel est son rôle?

Le Devgru est composé de sept unités plus petites (quatre d'assaut, une de reconnaissance, une de transport et une d'entraînement) spécialisées dans les opérations « no-fail », ou l'erreur n'est pas permise. Cela comprend évidemment le sauvetage d'otages. En 2012, la SEAL Team 6 s'est distinguée en Somalie en attaquant un groupe de pirates qui tenait deux occidentaux en otages. Dans une opération éclair, les neuf pirates sont décédés tandis que Jessica Buchanan et le danois Poul hagen Thisted étaient récupérés sains et saufs.

Les autres missions du Devgru comprennent des opérations anti-terroristes, des opérations de surveillance et bien entendu, les fameuses missions d'assassinats. Enfin, contrairement à l'ensemble des autres SEALs, les membres du Devgru sont formés au travail d'espionnage sur le terrain et opèrent souvent en civil, en tandem avec la CIA.

3Est-elle très utilisée?

Oui. Et surtout, de plus en plus. Le principal intérêt de l'enquête du New York Times est qu'elle révèle à quel point le Devgru s'intègre dans la doctrine militaire de Barack Obama, Si l'on devait la résumer, il s'agit d'une réduction de la présence au sol de troupes conventionnelles américaines au profit de bombardements, de frappes de drones et si nécessaire l'intervention de commandos - dont le tout premier d'entre eux est le Devgru. Tout pour minimiser l'implication des Etats-Unis sur le terrain.

Pour reprendre les mots de l'enquête du New York Times, « conçue pour n'être utilisée que lors de quelques opérations ponctuelles, la SEAL Team 6 est désormais une machine de chasse à l'homme au niveau global. » Ou, pour reprendre l'analogie du sénateur démocrate Bob Kerrey, ancien SEAL lui-même: « C'est un peu devenu le numéro vert à chaque fois que quelqu'un veut faire quelque chose. »

Le Devgru est particulièrement utilisé dans le cadre du programme d’exécution des « cibles à haute valeur » (high-value targets ou HVT) de la CIA. En 2013, Wikileaks avait publié une évaluation interne du programme HVT par l'agence datée de 2009, qui semble résumer en tous points la stratégie d'Obama. Le document explique qu'il est possible de manipuler le comportement de groupes terroristes grâce à des captures ou des assassinats soigneusement choisis pour l'influencer. Il peut s'agir d'ébranler la confiance des militants, de créer des conflits internes ou même de détourner des groupes politiques vers le banditisme. Une méthode à la base de l'accroissement phénoménal des frappes de drones et d'attaques commandos utilisées par les Etats-Unis.

En raison du secret qui entoure le Devgru, il est impossible de donner un chiffre précis. Mais la plupart des anciens membres du groupe parlent de « dizaines d'opérations » menées chaque année par le Devgru.

4Fait-elle polémique?

Et bien pour le dire ainsi: Pas vraiment. L'article du New York Times apporte peu de nouveautés sur le dossier du Devgru, et les tactiques parfois ultraviolentes du groupe sont bien connues. Un des membres explique notamment que lors des opérations en zone de guerre, les commandos n'hésitaient pas à tuer des personnes endormies s'ils trouvaient une arme à leurs côtés. Le même homme commente: « C'est pas différent d'une bombe qui tomberait sur le bâtiment. » Encore une fois, le parallèle entre le Devgru et le programme de drones se justifie.

Dans au moins un cas, les SEALs ont été soupçonnés d'avoir tués des combattants s'étant déjà rendus. D'autant plus que même les commandos ne peuvent pas forcément éviter les victimes civiles, de l'aveu même d'anciens membres de l'équipe. La Team 6 dispose d'ailleurs au sein de l'armée d'une réputation terrifiante d'unité qui n'hésite pas à dépasser les règles communément admises pour remplir sa mission, et plusieurs cas de comportements violents aux Etats-Unis même sont recensés par le New York Times.

Pourtant, contrairement au programme des frappes de drones, de plus en plus critiqué, le prestige du Devgru ne faiblit pas. D'une part en raison du colossal capital de sympathie engrangé aux Etats-Unis avec l'assassinat de Ben Laden, et ensuite grâce à l'aura des forces spéciales. Aux Etats-Unis comme en France, les commandos disposent d'un prestige considérable.

D'ailleurs, ce prestige ne s'efface même pas des colonnes du New York Times. Quand dans d'autres articles, les reporters s'étendent longuement sur la vie des membres du commando, et surtout les effets de leur travail sur leur santé. En effet, une comparaison revient souvent, celle entre les membres du Devgru et des professionnels du football américain. « Tu te sens comme si ton corps et ton cerveau étaient détruits. Mais tu ne veux pas quitter le terrain. » décrit un ancien membre au Times.

T.L

Publié par France 2 Washington / Catégories : Non classé