Jeudi, la Maison Blanche a été forcée de reconnaître qu'une frappe de drone menée en janvier dernier au Pakistan sur un complexe utilisé par Al-Qaïda, dans la région tribale frontalière de l'Afghanistan, avait par erreur tué deux otages occidentaux - l'américain Warren Weinstein et l'italien Giovanni Lo Porto.
Au delà de l'émotion provoquée par ces morts, les premiers otages tués dans une frappe de drone - et l'on est d'ailleurs tout à fait en droit de se demander en quoi les milliers de victimes tuées auparavant sont de moindre importance -, cet épisode met en relief des craquelures dans la stratégies des drones à outrance utilisée par Barack Obama.
Dans un esprit de « transparence », l'armée américaine a été forcée de reconnaître que la mission avaient été lancée sur la base d'informations partielles, complétées par des éléments de spéculation. Les renseignements américains savaient que le complexe visé était utilisé par Al-Qaïda. Ils savaient aussi que ce complexe était régulièrement fréquenté par des haut-gradés de l'organisation terroriste et pouvaient lancer une frappe sans viser d'individu en particulier - il s'est toutefois avéré que Ahmed Farouq, un responsable d'Al-Qaïda de nationalité américaine, se trouvait lui aussi dans le complexe.
A partir de ces informations, les militaires américains ont spéculé qu'aucun otage ne se trouvait dans le complexe, car leurs services de renseignement n'avaient jamais trouvé d'otages dans un rayon proche autour des responsables d'Al-Qaïda.
Ils avaient tort. Ils ont souvent tort. C'est l'humeur de Jacques Cardoze cette semaine.
Humeur #10: Les drones d'Obama by ftv-geopolis
Alors, s'agissait t'il d'une erreur des services de renseignement? Al-Qaïda se sert-il désormais de ses otages comme boucliers humains? Dans cette affaire, Obama a accusé « le brouillard de guerre » pour les erreurs commises. Mais même son press secretary Josh Earnest a reconnu que la mort de deux otages allait provoquer des changements dans le protocole utilisé dans l'autorisation des frappes de drone.
Mais fallait-il vraiment attendre la mort d'occidentaux pour en arriver là? Warren Weinstein et Giovanni Lo Porto sont loin d'être les premiers civils à perdre la vie dans les frappes de drones. Selon les estimations du Bureau of Investigative Journalism - utilisées dans cette magnifique infographie qui montre bien l'accélération de l'utilisation des drones sous Obama, mais s'arrête hélas en 2013. En 2014, le Bureau of Investigative Journalism publiait un rapport estimant à 2400 le nombre de civils tués par les drones américains dans le monde en 5 ans. Dans les deux cas, les cibles de haute valeur représentent moins de 2% des victimes recensées.
Le pêché originel de la stratégie des drones date déjà de 2006. A l'époque, le bombardement d'une madrasa, ou les américains espéraient abattre des Talibans, cause la mort de 69 enfants. C'était il y a huit ans, et les ingrédients étaient les même. Renseignements incomplets, gâchette qui chatouille à des milliers de kilomètres et là et au final le massacre intolérable de civils. Pourtant, l'utilisation des drones depuis cette date n'a cessé d'augmenter, au point de devenir le symbole de la politique étrangère d'Obama. Celle d'Etats-Unis qui cherchent à conserver leur engagement à l'étranger sans répéter les erreurs de George W. Bush.
Aujourd'hui, un grand nombre de spécialistes militaires et d'activités humanitaires -qu'on ne retrouve pas souvent dans le même camp- s'accordent à dire que la stratégie des drones est un échec. La précision des frappes est largement remise en cause, elles n'ont pas interrompu le flux de combattants dans le Moyen-Orient, ni permis de victoire militaire décisive contre les Talibans ou l'Etat Islamique. C'est même bien pire, comme l'explique le document Living Under Drones. Les drones américains se devenus le symbole d'un pays qui terrifie les habitants du Pakistan ou du Yémen
Une peur et une injustice qui arrangent les organisations terroristes, qui utilisent de plus en plus l'image des drones dans leurs campagnes de recrutement. Dans le documentaire Drone Review, un pilote américain de drone se demande: « Comment on peut espérer gagner quand à chaque fois que l'on tue 4 terroristes, on en créée 10? »
T.L