L'Indiana devait être le 17ème état américain à adopter une « religious freedom restoration act » (loi de restauration de la liberté religieuse) aux Etats-Unis. L'essence de la loi, dans l'état comme chez tous ces prédécesseurs, est d'inscrire dans les textes l'impossibilité pour l'état de restreindre la liberté religieuse d'un individu de manière abusive.
Dans les faits, on peut le considérer comme une sorte d'anti-laïcité. Là ou l'état français prohibe dans la majeure partie des cas l'intervention du religieux dans le public, les Etats-Unis interdisent l'intervention du public dans le religieux. La loi donne aussi un statut légal à la croyance personnelle, qui pourrait permettre de l'invoquer dans un procès.
Il est tout à fait notoire que les américains ne regardent pas la religion avec le même œil que les français. Cette loi paraît donc assez normale, mais qu'a t'il donc pu bien se passer pour la transformer en objet de débat national? Jacques Cardoze nous l'explique dans l'humeur de la semaine.
Et oui...Comme l'a très vite remarqué le lobby gay américain, la loi proposée par l'Indiana contient un langage qui, interprété par un avocat très retors, pourrait parfaitement permettre de justifier une discrimination contre les LGBT. Par exemple, un restaurateur qui refuse de servir un couple gay par homophobie pourrait évoquer des raisons religieuses, qui sont désormais protégées sur l'espace public.
Les libéraux américains se sont donc enflammées contre cette loi, taxée d'homophobe et rétrograde.
Sont-ils eux aussi allé trop loin? En faisant preuve d'un peu de générosité intellectuelle, on peut estimer que oui. L'esprit premier de la loi est tout à fait symbolique, il s'agit d'un geste des conservateurs pour garantir une liberté qui leur est chère - et qui est loin d'être menacée dans les Etats-Unis d'aujourd'hui. On espère pour la démocratie américaine que le but n'était pas de créer spécifiquement ce « loophole » qui permet toutes les discriminations. Cela dit, comme de nombreux libéraux, le journal satirique The Onion ne s'est pas privé de suggérer l'exact contraire avec un article titrant: « Le gouverneur de l'Indiana assure que la loi n'a rien à voir avec ce qu'elle avait précisément était créée pour faire. »
Dans un tel cas, les protestations de la communauté gay tiennent de la prophétie autoréalisatrice. En faisant un peu de politique-fiction, on peut imaginer que cette loi était passée inaperçue, elle serait restée avant tout un symbole, comme dans les 16 autres états ayant adopté des textes similaires. Mais une fois ce loophole rendu public, le texte devient de facto homophobe (création américaine: l'homophobie quantique, qui n'existe que quand on l'observe).
A partir de là, dans le pays le plus légaliste au monde, il ne pourrait créer qu'une avalanche de procès inutiles, déviant l'esprit de la loi de la liberté religieuse vers l'antagonisme entre religion et homosexualité. Heureusement, après des jours à nier que la loi soit homophobe pour commencer - sans comprendre que ce n'était même pas la question - le gouverneur de l'Indiana a fini par reconnaître le problème. Il a signé des amendements anti-discriminations pour éviter d'éventuels problèmes légaux et restaurer la réputation d'hospitalité de l'Indiana.
Reste le problème majeur révélé par cette affaire. Le lobby gay et le lobby religieux disposent tout deux d'une puissance faramineuse. Et vu l'état de leurs relations, tout geste en faveur de l'un risque fort d'attirer l'ire de l'autre.
Leçon pour le législateur: Handle with care.
Avec T.L