Deal nucléaire iranien: Des républicains insultent à peu près tout le monde

Vous pensiez que la visite de parlementaires français à Bachar était de l'ingérence parlementaire? Attendez de voir comment on fait ça aux Etats-Unis! Un groupe de 47 sénateurs républicains ont adressé une lettre ouverte à la délégation iranienne en charge des négociations sur un accord nucléaire avec le groupe des 5+1 (le Conseil de Sécurité et l'Allemagne).

Il s'agit d'un document remarquable, qui déborde en tout points de condescendance et d'inélégance. Nous avons donc réalisé une liste des personnes qui pourraient se sentir insultées par ce document d'à peine 4 paragraphes.

1L'Iran

La lettre commence par la phrase: « Nous avons remarqué en observant les négociations sur le nucléaire avec notre gouvernement que vous pourriez ne pas comprendre complètement notre système constitutionnel. » Avant de se lancer dans une leçon scolaire sur les pouvoirs diplomatiques du Congrès américain.

Il serait tout à fait normal pour des élus républicains de faire connaitre leur position politique sur le sujet, d'apporter des alternatives ou des propositions. C'est leur rôle en tant qu'opposition.
Mais le document envoyé ne contient que des insinuations et un cours de fac de première année. Quelle que soit votre opinion d'un pays, il est parfaitement insultant de considérer qu'une délégation de diplomates professionnels puissent ignorer les éléments les plus basiques du droit constitutionnel américain. La formule finale du document: « Nous espérons que cette lettre a enrichi votre connaissance de notre système constitutionnel et favorisera la compréhension mutuelle et la clarté de ces négociations. » ne fait que renforcer une impression de mépris considérable envers la délégation perse.

2La Russie, la Chine, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France (rien que ça)

Au coeur de la lettre, les sénateurs informent les iraniens que sans l'accord du Congrès, tout accord signé sera considéré comme: « Rien de plus qu'un accord exécutif entre le président Obama et l'Ayatollah Khamenei, que le prochain président pourra effacer d'un coup de stylo. »

Les négociations avec l'Iran sont menées en parallèles par l'ensemble des membres du Conseil de Sécurité, plus l'Allemagne -partenaire économique considérable pour l'Iran. Un document signé porterait donc la signature de 5 pays en plus de l'Iran et des Etats-Unis.

En insinuant qu'un président républicain puisse revenir unilatéralement sur un accord signifie aussi que les républicains sont prêts à s'asseoir sur les engagements pris avec et par leurs partenaires, sans les consulter. Vous avez dit américanocentré?

3Barack Obama

Ici, on retrouve une cible plus habituelle pour le parti républicain. Le Maison Blanche et le Congrès républicain s'écharpent sur à peu près tous les sujets depuis plusieurs mois. Et depuis peu, les républicains ont trouvé un nouvel angle d'attaque, l'héritage du président, la fameuse « legacy » si chère aux américains. Le statut de grand président se mérite sur la scène géopolitique, un domaine habituellement réservé au président dans lequel les républicains multiplient les intrusions depuis quelques semaines.

Il y a eu le discours de Benyamin Netanyahu devant les deux chambres, sur invitation du speaker républicain mais contre l'avis de la Maison Blanche, et maintenant cette lettre. Le but semble clairement de torpiller l'accord sur le nucléaire avant même qu'il ne puisse être signé - car malgré leur bravado, il est loin d'être acquis que les républicains puissent revenir dessus s'ils emportaient la Maison Blanche.

Mais le plus grave, sans doute, c'est que ce document montre que les républicains sont prêts à tirer la politique étrangère des Etats-Unis au niveau le plus bas de la politique partisane, avec ses publicités télévisées négatives et ses discours plein de mépris. Vu l'incapacité des républicains et des démocrates à s'entendre sur quoi que ce soit, le message envoyé au reste du monde est pathétique : La politique étrangère de la première puissance mondiale pourrait changer radicalement, tous les quatre ans, au gré des élections intérieures. Le crédit mondial des Etats-Unis n'était-il pas assez entamé comme cela ?

4Les électeurs américains

Est-il nécessaire de préciser que le petit cours de droit constitutionnel présenté dans la lettre ouverte est aussi suffisant pour les citoyens américains. En sous-entendant que le départ de Barack Obama en 2017 serait forcément suivi d'une rupture d'un traité avec l'Iran, 47 sénateurs jouent d'avance les élections de 2016. Le document qu'ils présentent n'est pas une opinion, une proposition, ou quoi que ce soit qui puisse être considéré comme un élément de campagne. Il informe simplement les iraniens et les électeurs américains qu'ils seront au pouvoir après les élections de 2016. Ne faudrait-il pas les laisser voter avant?

 

 

Sans être House of Cards, la politique américaine peut effectivement être assez crue. Mais jusqu'ici, la politique étrangère du pays était plus ou moins préservée des luttes de pouvoir - l'aile gauche de Barack Obama lui a d'ailleurs beaucoup reproché de ne pas avoir assez rompu avec les années Bush. Si le document des sénateurs républicains reflète l'attitude que le parti souhaite observer à partir de maintenant, ce sanctuaire sera très vite profané. C'est oublier que s'il y a un domaine ou le respect et la finesse comptent, c'est bien la diplomatie.

Et puisque les sénateurs ont oublié ce qu'était la classe américaine, on espère que la réponse iranienne contiendra la phrase: « Tu n'es vraiment pas très sympa, mais le train de tes injures roule sur le rail de mon indifférence. Je préfère partir plutôt que d'entendre ça plutôt que d'être sourd. »

T.L

Publié par France 2 Washington / Catégories : Non classé