C'est peut-être le chemin de Damas mais surement pas la montée à Canossa.
Depuis le début du mois de mars, Jérôme Kerviel n'incarne plus l'image du trader "voyou" condamné par la justice.
Il n'a pas pour autant prévu de demander pardon pour des fautes dont il affirme qu'il ne les a pas commises seul. Et de toute façon, il l'a déjà fait en 2008 auprès des salariés et des clients de son ancien employeur.
L'ancien trader de la Société Générale, arpente les chemins de la Francigena.
http://www.viefrancigene.org/fr/ L'antique route qui reliait Canterbury en Angleterre à Rome via la France.
Le chemin qui permettait ensuite aux pèlerins d'embarquer pour la Terre Sainte.
Jérôme Kerviel taille la route en sens inverse. 1400 km à pied, sac au dos par petites touches à travers la campagne italienne.
Des étapes quotidiennes d'une vingtaine de kilomètres avec escale chez l'habitant tous les soirs.
Physiquement, c'est un sorte de chemin de croix. Jérôme a déjà du affronter la pluie battante du Latium. Les chutes de neige de l'arrière saison. La pentes raides qui conduisent au sommet des collines de Toscane. C'est quand même ici que se dispute chaque printemps l'éroica, l'une des courses cyclistes les plus dures d'Europe.
Sur la route, voitures et camions le frôlent sans prêter attention au point rouge qui avance le pas décidé. Il a même emprunté une portion d'autoroute un jour où il était perdu.
Résultat de ces efforts, moins d'une semaine après le départ, une entorse à la cheville gauche.
Ce projet fou est né d’une rencontre rare et privilégiée : Jérôme Kerviel et le Pape François se sont entretenus le 19 février dernier.
L'objet de leur conversation relève de l'intimité. Jérôme ne veut pas en livrer les détails.
Mais il n'est pas difficile d'imaginer. Les deux hommes, Jérôme aujourd'hui, le Pape depuis son intronisation, ont un adversaire commun : la tyrannie de la finance.
Ce long entretien place Saint Pierre, chaleureux et bienveillant à en croire les images de la Télévision du Vatican a servi de déclic.
L'envie de se retrouver en portant un message. Un long cri silencieux contre sa vie passée.
En traversant le vignoble du célèbre Chianti en Toscane, celui qui est accusé d’avoir fait perdre 5 milliards d’euros à la Société Générale, nous explique vouloir surtout « reprendre le contrôle » de sa vie, se « laver » du calvaire des six années passées « dans l’essoreuse des procédures judiciaires ».
Au cours de ses 5 à 6 heures de marche quotidienne, le présumé coupable affirme rattraper le temps que la justice et sa vie antérieure de trader lui ont volé. Lorsque nous l’avons rencontré, le dimanche 9 mars 2014, Jérôme Kerviel découvrait les sublimes paysages de la Toscane pour la première fois. Et pour la première fois depuis 6 ans, c’est en se remémorant son éducation « humaniste », qu’il recouvre le plaisir simple et honnête des rencontres spontanées et des élans de solidarité.
Six ans dans les couloirs de la justice sans qu’aucune expertise ne vienne vérifier les accusations de la banque dénonce le trader déchu. Et il accuse : « il y a une collusion entre le pouvoir financier, judiciaire et politique ».
Aujourd’hui l’ancien crack de la finance, celui que ses chefs qualifiaient de "gagneuse" ou de "cash machine" quand il rapportait des millions d'euros de profit est dans l’attente du rendu de la décision de la Cour de Cassation prévu le 19 mars prochain. Si le pourvoi était rejeté, Jérôme Kerviel encourrait 3 ans de prison ferme et serait contraint de rembourser 4,9 milliards d’euros à la société Générale. La somme des pertes dont l'accuse son ancienne banque. Une montagne financière dont il serait le seul responsable selon la justice. « Une mort sociale » selon les termes du trader repenti.
En cas de confirmation, Jérôme Kerviel devra en effet payer toute sa vie, ne conservant que la portion congrue de ses revenus s'il retrouve un emploi.
Si l’ombre de la décision de la Cour de Cassation se fait sentir, Jérôme Kerviel semble relativiser, « je ne suis pas en fuite » nous assure t-il, « s’ils veulent m’incarcérer qu’ils viennent me chercher là où je suis ».
Depuis la France un ami de Jérôme a créé un groupe de soutien sur les réseaux sociaux. Sa mise en ligne a déclenché de multiples propositions d’hébergement et des messages d’encouragement de la part des internautes. De la Péninsule à l’Hexagone, Jérôme Kerviel est suivi assiduement et ne se prive pas de faire partager chaque instant de son voyage grâce à ses photos et aux comptes rendus de ses journées.
https://www.facebook.com/pages/J%C3%A9r%C3%B4me-Kerviel-De-Rome-%C3%A0-Paris/800674133294928
« J’ai l’impression de me vider, c’est comme si pendant 6 ans on m’avait mis un sac-à-dos avec des cailloux dedans et que je suis en train de les déposer petit à petit au bord de la route. » L'effet Pape François ?
Cela ressemble en effet à une démarche expiatoire, spirituelle qui porte Jérôme Kerviel vers son destin avec une sérénité qu'il ne connaissait plus depuis longtemps.
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