Lundi soir à Sotchi, sur les rives de la mer Noire, Vladimir Poutine a reçu en vainqueur Bachar al-Assad. “L’opération militaire en Syrie touche à sa fin”, a affirmé le président russe avant de saluer les résultats de son homologue syrien dans la lutte contre le terrorisme, proche d’une “défaite définitive”. Cette rencontre, présentée par le Kremlin comme une réunion de travail, visait avant tout à discuter du "règlement politique et pacifique à long terme" en Syrie. Alors que s’ouvrira jeudi un sommet tripartite Russie-Iran-Turquie, les protagonistes semblent préparer activement l’après-conflit dont l’issue et, surtout, les retombées régionales paraissent encore très incertaines.
L’Etat islamique vaincu, pas son idéologie
Avec la libération de Rawa, en Irak, et celle, imminente, de Boukamal, ville charnière à la frontière irako-syrienne, les combattants djihadistes ne contrôlent plus que quelques poches souvent désertiques, notamment dans la province de Deir Ezzor. Selon la coalition américaine, Daech a perdu 95% des territoires qu’il avait conquis en 2014. Mais si son rêve de “califat” s’est effondré, l’organisation préserve une certaine capacité de nuisance. Les experts s’accordent à dire que l’Etat islamique va reprendre une stratégie exclusivement insurrectionnelle, à la manière d’Al Qaeda en Irak, au plus fort de l’occupation américaine, en 2004. A court terme, sans un appui de l’Iran et du Hezbollah, il n’est pas dit que le régime syrien puisse tenir seul les territoires reconquis.
Des rebelles acculés, divisés, mais toujours actifs
Depuis septembre 2015, date de l’intervention russe aux cotés des forces d’Assad, les groupes rebelles n’ont fait que perdre du terrain. Aux abois jusqu’alors, le régime a totalement repris l’ascendant sur le plan militaire. Il contrôlerait aujourd’hui 90% des zones habitées de Syrie, à l’exception notable des provinces de Deraa, berceau de la révolution, et d’Idlib, abandonnées aux djihadistes. Mais cette région est aussi le théâtre de luttes intestines entre groupes armés rivaux que tente de dominer Hayat Tahrir al-Cham, branche syrienne d’Al Qaeda. A l’image de l’armée syrienne libre (ALS), les rebelles modérés sont dépassés et acculés. Ailleurs, comme dans les faubourgs de Damas, ils paraissent trop faiblement équipés pour espérer un retournement de situation en leur faveur. L’opposition syrienne en exil n’a pas été capable de s’unir au point d'exaspérer ses principaux soutiens: le Qatar, l’Arabie Saoudite, et à moindre mesure la Turquie qui utilise certains rebelles pour combattre les Kurdes. Quant aux forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les Etats-Unis, elles restent attachées au drapeau baasiste et à l’unité du pays. Un dialogue avec le régime semble désormais privilégié. Sauf si Washington se décide à contrebalancer l’influence russo-iranienne en Syrie.
Assad, vainqueur "illégitime"?
Peu d’experts ont misé sur sa survie au début de la guerre civile. En six ans de combats et de bombardements, son pays n’est plus qu’un vaste champ de ruines où ont déjà péri plusieurs centaines de milliers de Syriens. Mais le dictateur alaouite a tenu contre vents et marées, échappant même de peu à une intervention américaine, sous Barack Obama. Il le doit à Moscou, Téhéran et aux nombreux mercenaires engagés dans le conflit. Redevable, est-il par conséquent le maître absolu de Damas ? Est-il celui qui prend des décisions pour la Syrie? Qu’importe, son départ du pouvoir n’est plus exigé par les occidentaux. En attendant une stabilisation du front et d’éventuelles élections en Syrie, Bachar al-Assad est perçu comme le recours le plus réaliste pour nombre d’observateurs. Certains, toutefois, mettent en garde: tant qu’il restera président, Assad nourrira les espoirs de revanche, notamment des sunnites.
La guerre va-t-elle succéder à la guerre?
La défaite de l’Etat islamique et des rebelles est loin de mettre un terme aux tensions au Moyen-Orient. La mainmise de l’Iran en Syrie inquiète autant les pays sunnites de la région qu’Israël, dont les dirigeants redoutent une installation militaire à quelques dizaines de kilomètres de sa frontière nord. Si l’Etat hébreu privilégie pour l’heure la diplomatie, son armée semble indéniablement se préparer à une action préventive. Au Liban voisin, où s’entassent un million et demi de réfugiés syriens, le risque d’un embrasement est accentué par les tensions entre Téhéran et Ryad autour du Hezbollah. L’influence et la puissance de l’organisation chiite, dernièrement qualifiée de “terroriste” par la Ligue arabe, pourrait servir de prétexte à un nouveau conflit redoutable.
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