Le pipeline relierait les côtes israéliennes au sud de l'Italie en passant par Chypre et la Grèce. Derrière ce projet pharaonique, l'Etat hébreu prépare une stratégie d’exportation vers l’Europe de ses énormes gisements offshores. Quitte à redessiner, non sans risques, la géopolitique de la région.
C’est en leader d’une puissance énergétique en devenir et naturellement convoitée que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, s’est présentée jeudi dernier, à Thessalonique, au troisième sommet tripartite réunissant son pays aux côtés de la Grèce et de Chypre. A elles trois, ces nations incarnent le nouveau jeu d’alliances qui se dessine dans l’est méditerranéen depuis la découverte d’immenses ressources gazières à une centaine de kilomètres des côtes israéliennes. L’un de ces trésors sous-marin, le Leviathan, abriterait à lui seul près de 500 milliards de mètres cubes de gaz. De quoi assurer à l’Etat hébreu son indépendance énergétique et alimenter l’ensemble de l’Europe pendant au moins une décennie.
L’enjeu porte à présent sur la construction d’un gazoduc de 2.200 km, enfoui à trois kilomètres de profondeur, qui relierait les plateformes israéliennes au sud de l’Italie, en transitant par Chypre et Grèce. Durement touchés par la crise économique, ces deux pays ont immédiatement saisi l’aubaine financière que représente un tel projet, présenté comme le plus ambitieux au monde – et le plus coûteux aussi : 5,8 milliards de dollars. « Il y a encore quelques mois, ça relevait de la fantaisie. Aujourd’hui, ça devient réel. Le gazoduc Med East s’apparente à une révolution », s’enthousiasme Benyamin Netanyahou, comblé d’avoir trouvé ses premiers partenaires européens. « Ces ressources ont renforcé notre coopération stratégique. Elles vont aussi contribuer à la paix et à la stabilité dans la région », renchérit le chef du gouvernement grec, Alex Tsipras.
Dans les faits, ces nouveaux gisements ont déjà créé des opportunités pour Israël qui, fin 2016, a signé un premier contrat d’approvisionnement avec son voisin jordanien. Des négociations seraient également menées avec l’Egypte. Pourtant, la route de l’eldorado gazier reste encore incertaine et semée d’embûches. « La vraie contrainte n’est pas géopolitique, elle est d’ordre financière et technique, explique David Amsellem, directeur du cabinet de conseils Cassini. Le relief escarpé des fonds marins, en particulier entre la Grèce et l’Italie, ne se prête pas à des infrastructures comme les pipelines. » Certains experts évaluent donc le coût de construction d’un tel gazoduc à 15 milliards de dollars, soit deux fois plus que les estimations initiales. « Etant donné la baisse des prix du gaz naturel, indexé au pétrole, la rentabilité d’un tel projet risque de poser question. Il aurait été plus simple de transiter directement par la Turquie », poursuit David Amsellem.
Pax Economica israélienne?
Cette idée n’a pas été abandonnée par les responsables israéliens, malgré la confiance très relative qu’ils accordent au président Recep Erdogan. Les deux pays étudient actuellement la faisabilité d’un gazoduc bien moins coûteux (2 milliards de dollars) que celui devant atteindre le Vieux Continent. Il serait opérationnel dès 2021 et traverserait les eaux territoriales chypriotes. Problème : Ankara occupe la partie nord de l’île, ce qui complique l’équation. « Nous pensons qu’une solution à la crise chypriote peut accélérer l’exécution du projet énergétique », déclarait récemment Eitan Naeh, ambassadeur d’Israël à Ankara.
En attendant de réaliser la Pax Economica, les autorités israéliennes officialiseront courant juillet le nom des entreprises affectées au forage d’une vingtaine de blocs d’exploration dans la zone du Leviathan. Ces dernières pourront alors chiffrer le véritable potentiel commercial de ces gisements de gaz. Promise à se poursuivre, la surenchère autour des ressources énergétiques israéliennes est aussi vectrice de tensions. Le Liban conteste à l’Etat hébreu le tracé de sa zone économique exclusive (ZEE). En cause, un territoire maritime de 870 km₂, à cheval entre les deux pays, où se trouveraient d’autres réserves. Le litige, arbitré par les Etats-Unis et l’ONU, pourrait faire l’objet d’un casus belli.
Le redoutable Hezbollah libanais a menacé Israël d’attaquer ses plateformes gazières en Méditerranée. La marine de Tsahal y est depuis placée en état d’alerte. La protection de ces infrastructures stratégiques l’a obligé à passer commande de quatre nouveaux bâtiments de guerre auprès du constructeur allemand ThyssenKrupp. La facture, de 430 millions d’euros, alourdit un peu plus les coûts d’exploitation du gaz.
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