Le déclenchement du Brexit, le 29 mars dernier, a ravivé les tensions entre Londres et Madrid au sujet d’un territoire d’à peine 7 km2 : l’enclave britannique de Gibraltar. Si l’Angleterre et l’Espagne s’écharpent aujourd’hui sur l'avenir de la péninsule dès sa sortie de l’Union européenne, Gibraltar n’en est pas à sa première crise.
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1713. Tensions en mer
Les première turbulences entre l'Angleterre et l'Espagne interviennent au début du 18e siècle. De possession mauresque, puis espagnole, Gibraltar et son célèbre Rocher passent sous pavillon anglais en 1713 avec la signature du traité d’Utrecht. Un accord qui met un terme à 13 ans de guerre de succession en Espagne. Suite au décès du dernier souverain de la dynastie Habsbourg dans le pays, les grandes nations européennes - la France et l'Espagne d'un côté, l'Angleterre et l'Allemagne de l'autre - s'étaient affrontées pour se répartir les territoires de la couronne espagnole.
Grand vainqueur, Londres jouit alors de « la pleine et entière propriété de la ville et des châteaux de Gibraltar, conjointement à son port, défenses et forteresses ». Mais le traité reste muet au sujet de ses eaux territoriales. Un "vide juridique" qui profite aux Espagnols. Désireux de récupérer cette presqu'île du sud de l'Espagne, ils revendiquent alors leur droit de pêche sur la zone. Le conflit pour les ressources halieutiques constitue le premier point de discorde entre les deux pays.
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1969. Isolement forcé
Aujourd'hui, 10 000 travailleurs frontaliers rejoignent quotidiennement l'enclave britannique. Mais il fut un temps où franchir la frontière était impossible. En 1967, l'Espagne lorgne sur la péninsule mais les Gibraltariens refusent par référendum l'annexion espagnole. Deux ans plus tard, ils adoptent une constitution et troquent leur statut de colonie pour celui de territoire d'outre-mer britannique. C'est l'affront de trop pour le Général Franco qui ordonne sine die la fermeture de la frontière longue de 1,2 km.
Pendant près de 15 ans, le ravitaillement du Rocher se fait exclusivement par la mer et par voie aérienne. Il faut attendre 1984, soit 9 ans après la mort de Franco, pour que la libre circulation soit rétablie. Une décision motivée par la volonté de Madrid d'adhérer à l'Union européenne. Mais le mal est fait. Les années d'isolement forcé sont vécues comme un traumatisme et l'Espagne continue à payer la politique de Franco. En 2002, lors d'un second référendum, les Gibraltariens réitèrent à 99% leur volonté de rester sous pavillon britannique.
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2013. Péage ou chalutage
Au cours des décennies suivantes, la porosité de la frontière évolue au gré des crises. Celle de 2013 aurait pu durablement glacer les relations entre l'Espagne et l'Angleterre. Tout commence avec l'immersion par les autorités locales de 70 blocs de béton dans la baie de Gibraltar afin de créer un récif artificiel. Un projet mené sans l'accord de l'Espagne. Le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, crie au scandale. Selon lui, cette décision jugée "inacceptable", nuit au chalutage des navires espagnols qui pêchent dans ces eaux.
En représailles, Madrid renforce les contrôles à la frontière, provoquant d'immenses embouteillages à l'entrée et à la sortie de l'enclave. Rajoy menace également d'imposer un péage de 50 euros et de fermer l'espace aérien aux avions utilisant l'aéroport de Gibraltar. Son homologue britannique, David Cameron exprime "ses vives inquiétudes à propos des actions espagnoles à la frontière avec Gibraltar". Un événement qui renforce les tensions autour de l'exploitation des eaux territoriales.
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2017. Quel avenir après le Brexit ?
Interrogés en juin 2016 par référendum, les habitants de Gibraltar votent à 96% contre la sortie de l’Union européenne. Mais c'est finalement le Brexit qui l'emporte dans l'ensemble du Royaume-Uni. Le déclenchement du processus le 29 mars dernier ravive les tensions entre Londres et Madrid. Notamment après la présentation par le Conseil européen du projet d'"orientations de négociation" du Brexit. Le document indique qu'"aucun accord entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ne pourra s'appliquer au territoire de Gibraltar sans un accord entre le Royaume d'Espagne et le Royaume-Uni". Une ingérence que Londres désapprouve. Dans un entretien publié le 2 avril par le Sunday Telegraph, le ministre des Affaires étrangères britannique, Boris Johnson, déclare : "Gibraltar n'est pas à vendre. Gibraltar ne peut pas se marchander. Gibraltar ne sera pas soldé."
Mais Madrid maintient la pression. Cette semaine, un navire de guerre espagnol est entré dans les eaux disputées au large de l'enclave. Une nouvelle provocation alors que les contrôles à la frontière s'intensifient. Un renforcement "inacceptable" selon le chef adjoint du gouvernement de Gibraltar, Joseph Garcia. "L'Espagne a toujours utilisé les files d'attente comme une arme politique contre Gibraltar depuis le premier jour de l'ouverture de la frontière".
Victoria Rouxel avec Matthieu Boisseau