Attentats : pourquoi la France, et pas le Royaume Uni ?

Les attentats simultanés de Londres en 2005 (3 métros et un bus) avaient fait 56 morts et plus de 700 blessés.

Le Royaume-Uni est indéniablement moins touché aujourd'hui que la France par les attentats terroristes. Si la Grande Bretagne redoute des assauts et ne se sent absolument pas à l'abri d'une tragédie comme celle qui a eu lieu à Nice, la société britannique donne tout de même le sentiment d'être moins prise pour cible par ces attaques. Tentons de donner quelques facteurs possibles d'explications.

Attention ! Il ne s'agit pas ici d'affirmer sans ciller que la peur des attentats est moins forte, ni même que les risques de voir se produire des événements comparables à ceux de Paris et de Nice sont moins élevés. La nouvelle Première ministre Theresa May a d'ailleurs réagi en rappelant qu'il était "hautement probable" que la Grande Bretagne soit le théâtre d'un attentat de grande ampleur. Elle a d'ailleurs demandé en urgence le rassemblement du comité "Cobra" (chargé de se discuter des des questions hautement prioritaires). Le nouveau maire de Londres Sadiq Khan a de son côté annoncé que son administration passerait en revue les mesures de sécurité de la capitale. En janvier 2016, les services de renseignements britanniques avaient également indiqué avoir déjoué plusieurs projets d'attaques sur le sol britannique. La dernière attaque terroriste de grande ampleur remonte à 2005, où Londres avait subi quatre explosions meurtrières en moins d'une heure. En 2013, le soldat Lee Rigby avait été assassiné par deux hommes, déclarant vouloir venger les musulmans tués par l'armée britannique. L'acte semblait moins préparé, mais rappelait celui de Nice, les individus ayant renversé leur victime. La Grande Bretagne ne se sent donc pas à l'abri de nouvelles attaques.

Néanmoins, force est de constater qu'elle n'est pas aussi touchée par la radicalisation, cette nouvelle menace intérieure et tapie dans l'ombre, que de l'autre côté de la Manche. A suivre, 4 pistes pour essayer de comprendre pourquoi.

 

  • Une intégration sociale "moins mal" réussie

Selon Fawaz Gerges, professeur de Relations Internationales à la London School of Economics, la France est confrontée à des problèmes inédits, qui ne se retrouvent pas dans les autres pays de l'Union Européenne, et qui sont intimement liés à son histoire. "Historiquement parlant, les relations de la France avec l'Afrique du Nord, et particulièrement la guerre d'Algérie, sont tumultueuses. Cette expérience coloniale a laissé des cicatrices profondes qui ne sont pas encore totalement guéries." Selon lui, c'est une des raisons pour laquelle la France, mais aussi la Belgique, sont plus touchées. Au Royaume Uni, pas de guerre de décolonisation, ni de manifestants jetés dans la Tamise, comme en 1961 à Paris... De son côté, et malgré sa forte expansion coloniale, le Royaume Uni entretient des rapport plus pacifiés avec ses anciennes colonies, et surtout plus concrets économiquement, notamment au travers des partenariats commerciaux du Commowealth (53 pays).

Le chômage qui s'élève à presque 10% en France démontre également la difficulté sociale qui favorise le décrochage et la radicalisation de certains individus. En Grande Bretagne, ce taux est de 5%. Les jeunes sont également beaucoup moins touchés de l'autre côté de la Manche, et la ghettoïsation des banlieues n'est pas un phénomène aussi récurrent. L'enseignant chercheur Didier Lasalle met en évidence que les politiques d'intégration sociale menées au Royaume-Uni dès les années 1980 ont permis de réduire les inégalités en permettant notamment aux minorités d'accéder aux positions sociales plus valorisées. Ici, pas forcément plus de ministres "symboles" issus de la diversité, car le monde politique reste encore trop fermé et ségrégatif. Cependant les postes d'enseignant, commissaire de police du quartier, avocat, médecin, pharmacien, ainsi que de nombreuses professions de notables de proximité sont beaucoup mieux répartis et accessibles à tous.

 

  • Un plus grand respect des cultures et des religions

A Londres, il n'est pas singulier de croiser le voile dans les rues de Londres, ni d'être conseillé par une vendeuse vêtue d'une burqa dans un magasin de vêtements. Le voile est en effet officiellement autorisé dans tous les secteurs de l'emploi. Il est commun de croiser, dans l'espace public, des personnes arborant des signes religieux (turban, voile, kippa, y compris chez des policiers en service par exemple) sans que cela ne dérange outre mesure. En avril 2016, on pouvait même voir en rayon la dernière tendance de l'été : un maillot de bain intégral pour les femmes musulmanes.

Même si certains médias dénoncent l'explosion d'actes, notamment islamophobes, perpétrés pour des motifs de haine religieuse, les citoyens britanniques ressentent moins la discrimination portant sur leurs croyances particulières. Les statistiques incluent, contrairement à la France, des critères ethniques et religieux (il est commun qu'on demande aux futurs salariés leur appartenance religieuse, même si cela ne joue en aucune manière dans les critères de choix des employeurs). Historiquement, la Grande Bretagne n'est pas un pays laïc, et conçoit l'intégration de ses citoyens sur la base d'un socle minimum d'intégration (dont l'aspect principal est la connaissance de la langue anglaise).

 

  • Un sentiment patriotique plus développé

Si en France, le sentiment de fierté d'être français n'est pas à mode, et monopolisé dans tous les débats par la mouvance du Front national, au Royaume Uni il en va tout autrement. Peut-être l'expérience, finalement récente, de la Seconde Guerre mondiale laisse encore des traces : le Royaume-Uni durant le conflit fut un territoire tout entier résistant, alors que la France avec l'épisode trouble de Vichy, a fissuré son unité nationale en faisant de son drapeau un symbole non plus seulement de fierté mais aussi d'ambigüité. Le culte des anciens combattants est très présent au Royaume-Uni (le "Poppy day", jour de mémoire envers les soldats tombés pour la patrie, est respecté par tous). Par exemple, la légendaire Royal Air Force a gardé tout son prestige et reste populaire, sans être pour autant associée à un quelconque militarisme.

En outre, la police est beaucoup plus respectée et suscite moins de défiance de la part des populations, contrairement à ce qu'on pourrait trouver en France dans des quartiers sensibles : absence générale de port d'arme, courtoisie légendaire des "bobbies", ces officiers de police coiffés du typique casque bombé. Là encore, pas de "tache d'ombre", ou de "police collabo" dans le passé policier britannique.

 

  • Une île, plus facile à défendre

Contre la menace extérieure cette fois, le Royaume-Uni peut compter sur la géographie de son territoire. Le statut d'île le rend peut-être plus facile à défendre, et à contrôler les mouvements venus de l'extérieur. Forcément, la douane est présente dans les ports ou aéroports, ainsi qu'aux gares accueillant les trains Eurostar. Mais l'absence de frontières terrestres rend les contrôles plus aisés pour les autorités.

Les contrôles ne sont pourtant pas infaillibles, comme l'a rappelé l'épisode Mohamed Abrini, impliqué dans les attentats de Paris en 2015, et 2016 à Bruxelles. La reconstitution de son itinéraire montre en effet qu'après avoir quitté la Turquie , Abrini aurait transité par Londres et Birmingham, avant de rentrer en Belgique.