Bassesses et trahisons : le Game of thrones de la politique britannique

La couverture du quotidien Metro jouait sur les mots mecredi : "Un autre jour de chaos" en référence aux affaires qui ont secoué le pays.

Pas le temps de s'attacher aux personnages : à l'image de la série, les protagonistes de cette histoire manoeuvrent, trahissent et finissent toujours par s'égorger. Telle une jelly mal refroidie, la classe politique britannique s'est affaissée depuis que le Royaume-Uni a voté en faveur d'une sortie de l'Union Européenne. Attaques personnelles, impostures et coups de couteaux dans le dos : à chaque jour son épisode. Voici déjà les six premiers de la saison, et Summer is coming...

 

Episode 1 : Michael Gove, le triple Judas

Celui qui est toujours ministre de la justice sous le gouvernement Cameron est passé maître dans l'art de la trahison. Vis à vis de son Premier ministre d'abord. Alors que ce dernier appelait tous ses proches politiques à s'unir derrière la barrière du "Remain", Gove créait une première fois la surprise en appelant le peuple britannique à voter Brexit, "dans l'intérêt du pays". Un volte face qui lui valut déjà son lot de critiques, considérant sa déloyauté envers son "ami" le Premier ministre (Gove est le parrain de la dernière fille des Cameron). Mais "Gover" ne s'arrête pas en si bon chemin : après avoir mené une campagne de cinq mois derrière Boris Johnson, l'ex-maire de Londres qu'il connaît depuis 30 ans et qu'il soutenait pour le mandat de Premier ministre, le Ministre de la justice saborde à nouveau le navire en se portant lui-même candidat... deux minutes avant la clôture des inscriptions ! Etonnant ? On pourrait le croire, venant d'un homme qui avait répété : "Je ne suis pas équipé pour être Premier ministre". Mais nous commençons déjà à cerner un peu mieux le personnage, et le style de coups fourrés dont il est capable. Sa dernière trouvaille en date fait presque sourire : après son élimination de la course au 10 Downing Street, son directeur de campagne s'est fendu d'un SMS, envoyé à la totalité des députés conservateurs. "Dans l'intérêt national il est sûrement nécessaire que nous travaillions ensemble pour stopper AL" (comprendre, Andrea Leadsom, l'une des finalistes de l'élection). Trois trahisons, en moins de deux mois, le bilan ferait pâlir le plus jaune des Judas. Aujourd'hui, c'est tout le Royaume-Uni qui pâlit devant Michael Gove.

 

Episode 2 : Andrea Leadsom, l'insulte qui passe mal

Revenons un peu en arrière : Gove éliminé de la course, les deux prétendantes au 10 Downing Street se nomment Theresa May et Andrea Leadsom. 26 ans après la Dame de fer, Margaret Thatcher, le Royaume-Uni sait que pour la seconde fois de son Histoire, le Premier ministre sera une femme. Alors que la campagne s'intensifie et qu'Andrea Leadsom, qui faisait figure d'outsider, gagne des points dans les sondages, on s'attend à une lutte, certes acharnée mais conforme au flegme et à la pudeur britannique. Il n'en sera rien. Dans une interview accordée au Times, Leadsom franchit la ligne jaune en déclarant qu'étant mère de trois enfants, elle est beaucoup plus armée que sa rivale pour organiser le futur du pays. Et ce, précisément au moment où Theresa May confie sa douleur de ne pas avoir pu enfanter, malgré ses efforts. L'opinion publique bondit et fustige Leadsom, accusée de capitaliser de bien triste manière sur le malheur de son adversaire. Dans la foulée, l'ancienne cadre de la banque Barclay's est accusée d'avoir gonflé artificiellement son CV pour gagner en légitimité. Mais où est donc passée la classe "so british", l'élégance toute en retenue dont la Grande Bretagne se fait si souvent l'émissaire ? Envolée, tout comme les chances d'Andrea Leadsom : ses excuses publiques à Theresa May ne changeront rien, elle vole en éclat et finit par abandonner la course, laissant le champ libre à sa concurrente, officiellement intronisée ce mercredi.

Cet épisode aura néanmoins laissé un goût amer dans la bouche de beaucoup de citoyens britanniques, peu habitués à voir le combat politique creuser autant les tréfonds de la moralité douteuse.

 

Episode 3 : Au Labour party, l'aigle fond sur le moineau Corbyn

Le contexte politique britannique se transforme depuis plusieurs semaines en scène de théâtre : quiproquos, trahisons et exhumations des petits secrets, chaque jour porte son lot de coups bas. Au lendemain du Brexit, 80% des députés du parti travailliste ont signé une motion de censure exigeant le départ de leur leader Jeremy Corbyn. Mardi dernier, la députée Angela Eagle a enfoncé le clou en se présentant officiellement pour remplacer Corbyn, qui pour sa part n'a exprimé aucun souhait de démissionner. A croire que la saison des putsch est arrivée, et que la démocratie est le cadet des soucis des élus britanniques. Eagle a même déclaré : "Jeremy Corbyn a échoué à diriger un parti organisé et efficace." Une manière de dire que le leader a plus sa place dans le casting de Friends de de Game of Thrones... De son côté, Corbyn, socialiste antiaustérité, ne dirige le parti que depuis dix mois, et menace de porter l'affaire devant les tribunaux. L'aigle Eagle menace de picorer les yeux du moineau Corbyn. Après avoir officiellement lancé sa campagne mardi, la toute fraîche candidate a vu la vitre de son bureau éclatée par une brique mardi matin, jetée depuis la rue adjacente à son bureau de campagne. Justice céleste pour sa mutinerie assumée ? Ou plutôt : énième indice que la situation politique au Royaume-Uni prend du plomb dans l'aile...

Ce matin, un autre grand nom du parti, Owen Smith, ancien homme de l'ombre du cabinet du ministre, a lui assiégé encore davantage Corbyn en déclarant sa candidature ce mercredi matin.

 

Episode 4 : Des sextos dans le panier de Crabb

De son côté Stephen Crabb, l'un des ex candidats à la succession de David Cameron, est rattrapé par une affaire de textos coquins, qu'il aurait échangé durant la campagne avec une jeune femme. Le député Tory, marié et père de deux enfants avait en grande partie construit sa campagne sur les thèmes de la famille et de la religion. Autant dire que l'image des politiciens n'a pas été redorée par l'affaire, surtout après que Crabb déclare, pensant peut-être sauver son cas que "la plupart des députés aiment prendre des risques, surtout dans les sphères de l'argent, de la politique, du sexe et de l'opportunisme." No comment.

 

Episode 5 : Les Experts (en retournement de veste)

En plus de se trahir entre eux et de se tirer mutuellement dans les pattes, les hommes et femmes politiques britanniques doivent également se méfier d'un ennemi encore plus sournois : eux-mêmes. L'ex maire de Londres Boris Johnson et l'ex candidate Andrea Leadsom en ont fait l'amère expérience, lorsque les médias anglais ont exhumé des propos qu'ils avaient tenu en 2013 sur un possible scénario de sortie de l'Union européenne. Chacun d'eux s'était alors exprimé sans équivoque contre le divorce, le premier vantant les mérites du marché communs, la seconde mettant en garde contre le "désastre" économique qu'entraînerait la sortie de la Grande Bretagne de l'UE. Il semblerait donc qu'en plus de l'élégance et de la loyauté, la cohérence ait également déserté la classe politique britannique.

De son côté la désormais Première ministre Theresa May a vu resurgir des propos qu'elle avait tenu en 2007 contre le Premier ministre d'alors Gordon Brown. Celui-ci était en effet arrivé au pouvoir dans les mêmes conditions qu'elle, après la démission de Tony Blair, et sans l'organisation d'élections générales qui auraient impliqué les citoyens dans la décision. Elle avait alors appelé Brown à organiser de telles élections, et avait déclaré : "Son mandat n'est pas démocratique, et il n'a pas été élu Premier ministre". Lorsqu'après son élection, les élus du Labour ont appelé à l'organisation d'élections générales, Theresa May a purement et simplement refusé. A croire que chez les politiciens britanniques, la légitimité est un vilain défaut.

 

Episode 6 : Johnson, Farage et Leadsom, une brochette d'abandons

Jamais la classe politique britannique n'aura autant donné l'impression de s'étioler. Telle une "jelly" mal refroidie, les politiques se sont en effet affaissés tout au long des campagnes du Brexit et de la succession de David Cameron. Un manque de sérieux et de tenue personnalisé par Boris Johnson : l'ex-maire de Londres, après avoir mené campagne pour succéder à David Cameron au poste de Premier ministre, a préféré abandonner, alors que son charisme lui promettait de sérieuses chances de succès. Un "Boxit" qui intervient après qu'il ait retourné sa veste sur la question de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le leader du parti europhobe Ukip, Nigel Farage, figure de proue du Brexit, a décidé lui aussi contre toute attente de démissionner de son poste de président du parti, au motif "qu'il avait atteint l'objectif de sa vie". Incapable d'assumer un contexte post-Brexit tumultueux, il semble néanmoins être très à l'aise avec l'idée de continuer à toucher son salaire de membre du Parlement européen (estimé à plus de 100 000€ par an). Une cohérence à toute épreuve. Dernière en date à dire "bye-bye", Andrea Leadsom, ex candidate à la succession de David Cameron au 10 Downing Street, qui s'évanouit dans un écran de fumée après avoir attiré la campagne dans les abysses. Des hommes et femmes politiques qui n'assument pas leurs paroles, leurs erreurs et leurs engagements, voilà le spectacle proposé au britanniques depuis plusieurs semaines, et qui commence sérieusement à traîner en longueur.

Alors que le Royaume-Uni s'apprête à faire face au plus grand défi politique de son Histoire après la Seconde Guerre mondiale, il n'est pas exclu que le choix de la sortie de l'UE soit également dû à un raz le bol généralisé (et justifié) des britanniques envers leurs "élites". Le mépris dont fait preuve la classe politique pour ceux qu'elle est censé représenter est peut-être également dû aux nombreuses collusions et à l'entre-soi qui règne parmi les responsables politiques britanniques. Petite illustration avec cette infographie :

Damien Le Délézir avec Loïc de La Mornais