SERIE J-7 : le compte à rebours avant le grand divorce ?
En janvier 2013, David Cameron, à la tête du gouvernement, promet aux Britanniques d’organiser un référendum sur la sortie ou le maintien dans l’UE s’il remporte les prochaines élections en 2015. Une promesse faite par calcul politique selon de nombreux observateurs, le Premier ministre voulait alors aller chasser sur les terres de la droite populiste UKIP pour récupérer des voix. Finalement réélu, le référendum est organisé pour le 23 juin 2016, c'est-à-dire dans une semaine jour pour jour. Mais entre temps la situation s'est compliquée pour le chef du gouvernement. Beaucoup d'analystes politiques pensent que, quelque soit le résultat, David Cameron aura du mal à aller au bout de son mandat.
Dimanche dernier, le 12 juin 2016, David Cameron était l'invité du programme télévisé The Andrew Marr Show diffusé sur la chaîne BBC One pour s'exprimer au sujet du Brexit. Lorsque le présentateur a commencé à questionner son invité sur ses intentions pour gérer le gouvernement en cas de passage du Brexit, le Premier Ministre s'est empressé de lui couper la parole pour faire ses propres questions-réponses : "Si nous votons pour la sortie du pays est-ce que nous appliquerons réellement cette instruction ? Oui. Est-ce que je conserverais mon poste en tant que Premier Ministre ? Oui. Est-ce que je formerais un gouvernement qui inclura tous les talents du Parti Conservateur ? Oui."
Le Premier ministre a assuré devant le présentateur Andrew Marr qu'il ne démissionnera pas, en revanche, il a laissé sous-entendre qu'en cas de passage du Brexit il modifiera l'organisation de son gouvernement de manière à accorder plus de pouvoir aux conservateurs pro-Brexit.
Si officiellement les conséquences politiques ne semblent pas être le coeur du problème pour le Premier Ministre, à l'inverse, nombreux sont ceux qui, au sein du parti conservateur et chez les observateurs politiques, s'inquiètent de la profonde division entre les "Tories".
Plusieurs débats télévisés diffusés sur la chaîne Sky News ont opposé le Premier Ministre, pro-européen, et d'importantes figures du parti conservateur pro-Brexit, comme notamment Boris Johnson, ancien maire de Londres, et Michael Gove, actuel ministre de la Justice. Ces débats publics ont renforcé la visibilité de la scission auprès des britanniques, malgré la volonté de chacun des participants de ne pas donner l'impression d'une confrontation "conservateurs contre conservateurs".
William Hague, ancien dirigeant du Parti Conservateur, se préoccupe fortement de l'avenir du parti conservateur. "Une bataille durable au sein du parti ouvrira des plaies qui prendront une génération entière à cicatriser" a-t-il écrit dans une des rubriques du journal britannique le Daily Telegraph. "Les conservateurs seront-ils capable de travailler ensemble au lendemain du référendum quelque soit le résultat ?". L'homme, ancien ministre des affaires étrangères, s'inquiète moins du vote de l'électorat que des divisions croissantes qui minent le parti de droite.
Mais c'est surtout l'avenir du Premier ministre qui semble compromis. Dans les deux cas de figure, beaucoup prédisent qu'il lui sera impossible de poursuivre longtemps son mandat :
- Le Brexit passe et le Royaume-Uni sort de l'Union Européenne. Se pose alors la question de la légitimité de David Cameron à rester à son poste. Si le Brexit passe, cela signifiera que la majorité des britanniques aura voté contre l'Union Européenne. Or, David Cameron est un grand partisan de l'Union, en tout cas c'est ce qu'il a affirmé durant toute sa campagne... Ses idées seront donc en opposition avec la majorité de son peuple. Si David Cameron a pris le pari d'organiser ce référendum, à lui désormais de prendre ses responsabilités comme l'avait fait notamment Charles de Gaulle en 1969. A la suite de l'échec de son référendum sur la réforme du Sénat et de la création des régions, le Général avait démissionné dès le lendemain, estimant à juste titre ne plus être la personne légitime pour représenter la volonté de la majorité des français. Autre conséquence pour David Cameron si le Brexit passe : il restera celui qui a fait le divorce, et peut-être aussi l'éclatement du pays avec l'indépendance future de l'Ecosse.
- Le Royaume-Uni reste un pays membre de l'Union. David Cameron sera présenté comme l'homme qui a joué avec le feu. Dans un entretien réalisé avec le bureau de France 2 Londres, Jon Henley le spécialiste des questions européennes au "Guardian" n'avait pas de mots assez durs pour le Premier ministre, estimant "qu'il avait agi de manière presque criminelle pour les générations futures, en jouant avec l'avenir de son pays pour raisons politiciennes".
En tout état de cause, un noyau dur au sein du parti conservateur considère que les déclarations tenues par David Cameron et George Osborne - ministre des Finances - sont totalement déconnectées de la réalité. Ils reprochent aux deux hommes d'avoir largement exagéré les conséquences économiques qu'engendrerait un Brexit pour le pays.
Ces mêmes personnes ont déjà annoncé vouloir se liguer pour voter une motion de censure contre le Premier Ministre en cas de victoire du Brexit. Une telle mesure provoquerait le renversement du gouvernement de David Cameron, lui-même exclu du pouvoir. De nouvelles élections seraient alors prématurément renouvelées. Si les 50 signatures que requiert cette procédure pour pouvoir être mise en oeuvre semblent difficilement atteignable aujourd'hui, il est néanmoins certain que quelque soit le résultat du référendum, les plus durs voudront prendre leur revanche, quitte à infliger une mort lente à l'administration conservatrice.
Mais curieusement, malgré les dissensions qui les opposent, la plupart des partisans du Brexit se sont prononcés pour un maintien de David Cameron à son poste de Premier Ministre, même en cas d'une sortie de l'Union. Il est essentiel d'après eux d'assurer une stabilité au cours d'une période qui sera inévitablement une période difficile, notamment concernant la gestion des marchés financiers.
Les prochaines élections législatives britanniques se tiendront en mai 2020, si aucune motion de censure n'est votée entre temps. Leur résultat dépendra du comportement du gouvernement suite au résultat du référendum. Bernard Jenkin, un parlementaire très pro-Brexit, estime que malgré la scission au sein du parti une bonne direction pourrait tout à fait réunir de nouveau les membres et les mener à une nouvelle victoire en 2020.
Le parti travailliste, lui-même parcouru par plusieurs dissensions autour de sujets clés comme l'Europe, a des chances de tirer profit de cette scission conservatrice. En comparaison au parti conservateur, ce dernier apparait, aujourd'hui, comme un parti stable et uni...
Claire Perrodon, avec Loïc de La Mornais