La leçon de vie d'une des rares et dernière femme pilote de Spitfire

Joy Lofthouse à 20 ans et aujourd'hui - BBC

Joy Lofthouse, 93 ans, vétéran de l’armée de l’air britannique pendant la Seconde Guerre mondiale a conservé son panache d’antan. Il y a quelques mois, elle est remontée à bord du légendaire Spitfire qu’elle pilotait 70 ans plus tôt. Elle fit partie d'une unité méconnue, où 164 femmes eurent les commandes des avions de chasse les plus avancés de l'époque.  Rencontre avec une femme d’exception et un symbole du féminisme en Grande Bretagne, qui en cette journée des droits de la femme, lance un message aux jeunes générations...

Avions miniatures, photos d’époque, statuettes de pilotes : bienvenue chez Joy Lofthouse. La maquette du célèbre Spitfire orne la commode du salon comme une récompense du passé. « Tout le monde rêvait de piloter un Spitfire. C’était une icône nationale. Tout simplement, la chose la plus rapide sur terre à l’époque » se souvient-elle.

Le Spitfire fut le chasseur de référence de la Royal Air Force, l'artisan de la victoire de la bataille d'Angleterre - RAF Museum

Le Spitfire fut le chasseur de référence de la Royal Air Force, l'artisan de la victoire de la bataille d'Angleterre en 1940 - RAF Museum

Elle arbore son uniforme de pilote "on était très fières de porter ces ailes" plastronne t-elle. Sa casquette lui sied encore. Face au miroir elle se remémore…

Au cours de la seconde Guerre mondiale, l'armée de l'air britannique fait appel à des pilotes issus du civil formés par l’Air Transport Auxiliary. Les pilotes de l’armée de l’air sont au combat, il faut donc de la main d’œuvre pour convoyer et livrer tous types d’avions et de matériel entre les usines, les unités de maintenance et les escadrons de première ligne. Si les recrutements étaient au départ limités aux hommes, ils se sont vite étendus aux femmes. Joy, qui se destinait à être employée de banque, et sa sœur Yvonne MacDonald réussissent les tests mathématiques, sportifs et médicaux. Elles feront partie des 164 femmes à rejoindre l’ATA face à 1152 hommes. Les pilotes de cette unité délivrèrent plus de 300 000 avions de 51 types différents. 

164 femmes furent incorporées dans les effectifs de l'Air Transport Axiliary, pilotant aussi bien des chasseurs que des bombardiers - crédit Royal Air force Museum

164 femmes furent incorporées dans les effectifs de l'Air Transport Auxiliary, pilotant aussi bien des chasseurs que des bombardiers - crédit Royal Air force Museum

Joy Lofthouse va ainsi piloter des dizaines d'appareils différents, en plus du Spitfire, comme les non moins célèbres "Hurricane" ou encore plus tard le Mustang P51, un légendaire chasseur américain capable d'atteindre la vitesse de 700 km/h.

Les femmes devaient faire preuve d’une grande détermination pour convaincre les soldats qu’elles étaient capables de piloter des avions militaires. Joy raconte qu'au début,les soldats leur disaient d'attendre le pilote quand elles arrivaient à l'avion. Une fois acceptées, elles étaient traitées de la même manière que les hommes : on les surnommait les « Attagirls ». Si Joy Lofthouse n’a pas eu le droit de combattre, elle est fière d’avoir eu un rôle dans la guerre: "Ce fût réellement le meilleur métier car il était excitant, et nous avons contribués à la guerre. Nous avons été les pionnières des pilotes femmes de la RAF".

Leur rôle n’était pas sans risque. Si elles ne combattaient pas, dans les airs elles affrontaient régulièrement les intempéries. « La météo était notre pire ennemi » confie Joy, elle a couté la vie à de nombreuses pilotes. C’est le cas d’Amy Johnson, connue pour être la première femme à avoir effectué un vol solo entre le Royaume-Uni et l’Australie, elle décèdera à cause de conditions météorologiques défavorables. 20 femmes et 129 hommes pilotes de l’ATA moururent en service.

La carrière de Joy dans l’aviation s’est arrêtée après la Guerre, elle est devenue institutrice : « après 6 années de guerre, j’étais contente de pouvoir me marier et fonder une famille. De toute façon il n’y avait pas de place pour nous dans les compagnies aériennes. Le pays avait été bien content d’avoir l’aide des femmes mais sitôt la guerre finie, c’était retour en cuisine ! ».

Au début du mois de mai 2015 Joy a eu la chance de voler de nouveau à bord d’un Spitfire (voir ici le reportage embarqué de la BBC Vol Spitfire Joy Lofthouse). 70 ans après son premier vol, elle a avec un peu d’appréhension, mais porte encore fièrement le casque. Son pilote lui passera rapidement les commandes envol. Devant les caméras de la BBC elle exhulte "C'est fantastique d'être à nouveau à bord du Spitfire. Oh, ça faisait si longtemps ! C'est très dur de décrire ce que je ressens, mais il reproduit assez bien ce que j'ai ressenti à l'époque." 

Aujourd'hui, Joy aime penser qu'elle et ses camarades féminines de l'ATA ont été des pionnières. "Nous avons ouvert la voie, même si cela prendra des décennies par la suite avant que l'on confie des missions opérationnelles (de combat) aux femmes pilotes. Si j'avais une chose à dire aux jeunes filles aujourd'hui, ce serait : "il vaut mieux échouer, que regretter". Moi, si je n'avais pas essayé, je l'aurais regretté toute ma vie."

 

Cassandre Mallay et Loïc de La Mornais