La sécurité sociale britannique (NHS) au coeur de la campagne

Le système de santé publique britannique (NHS, National Health Service) est au coeur de la campagne électorale. Critiqué pour ses dysfonctionnements, il est également l’objet de nombreuses controverses. Dernière en date : les salaires des directeurs d’hôpitaux, parfois supérieurs à celui du Premier ministre !  Retour sur cette particularité britannique. 

C’est en 1948 qu’a été créé pour la première fois le NHS, à partir d'un rapport écrit en 1942 par Lord William Beveridge. Le NHS a beaucoup évolué depuis sa création, au gré des majorités qui se sont succédées au pouvoir.

Comme nous l'explique le professeur Eric Chemla, la santé publique gratuite est le dernier rempart de l'Etat providence en Grande-Bretagne. Une exception non négociable pour les Britanniques, ce dont sont bien conscients les candidats en lice pour le poste de Premier ministre. Voir notre reportage :

Le NHS est d'autant plus un enjeu majeur que le système est loin d’être rôdé.

A la fin de l’année dernière, durant la période des fêtes, près de 21 000 personnes ont ainsi attendu plus de 12 heures à l'hôpital avant d’être prises en charge. Selon nos confrères du Dailly Telegraph, en un an, les délais d’attente supérieurs à 20 heures ont doublé dans les hôpitaux. Une des raisons qui expliquent ces dysfonctionnement est la présence de “bedblockers”, c'est à dire de patients qui “bloquent les lits”. Ces deniers ont généralement besoin d’un suivi médical intensif, qui leur est dispensé au sein de l’hôpital pour des raisons budgétaires (il serait trop coûteux d’avoir recours à  des infirmières à domicile). Ces personnes, dont l’état de santé ne nécessite pas une intervention en urgence, restent donc à l’hôpital et “bloquent les lits”, empêchant la prise en charge de nouveaux patients.

(crédit : David Levene)

(crédit : David Levene)

Autre point qui fâche concernant le NHS : le numéro d’urgence composé chaque mois par près d’un million de Britanniques. Régulièrement, des personnes sont envoyées aux urgences ou font venir une ambulance sans que cela soit réellement justifié. Il faut dire que les employés, qui ne reçoivent qu’une courte formation pour répondre au téléphone, doivent se débrouiller avec un simple guide qui leur explique la marche à suivre suivant les symptômes décrits par la personne qui appelle. Les délais d’attente au téléphone sont longs, et les patients à l'autre bout du fil ont le sentiment de ne pas obtenir d’informations précises. Certains se rendent dès lors directement aux urgences, ajoutant au chaos qui y règne déjà.

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Chaque jour, des personnes ayant composé le 111 sont envoyées aux urgences sans réelle nécessité (crédit : Alamy)

Dernière polémique en date : le salaire des directeurs d'hôpitaux. Selon le Daily Mail, certaines hausses de salaires s’élèveraient au total à 35 millions de livres, soit environ 49 millions d’euros. Plusieurs directeurs sont ainsi mieux rémunérés que le Premier ministre, alors que le personnel soignant subit de son côté un gel des salaires pour des raisons budgétaires. Les photos des dirigeants d’hôpitaux publiées dans la presse, coupes de champagne à la main, n’ont fait qu’exacerber ce sentiment d’injustice.

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Tricia Hart, coupe de champagne à la main. La directrice d'hôpital a vu son salaire augmenter de 35 000 livres (plus de 47 000 euros) (source : Daily Mail)

Dans le match que se livrent travaillistes et conservateurs pour convaincre les électeurs, le NHS est un thème déterminant. Pour l’instant, Ed Miliband (Labour) l’emporte sur David Cameron (Conservatives). Il faut dire que dans leur campagne, les travaillistes ont largement insisté sur le futur sombre qui attend le NHS en cas de victoire des conservateurs :

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Le NHS tel que vous le connaissez ne survivra pas à cinq ans de plus avec David Cameron.
- des temps d'attente plus longs 
- des coupes budgétaires qui nous ramènent aux années 30, quand il n'y avait pas de NHS
- plus de privatisations

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Les conservateurs veulent faire des coupes budgétaires qui nous ramèneraient aux années 30, quand il n'y avait pas de NHS. Le NHS tel que vous le connaissez ne survivra pas à cinq ans de plus avec David Cameron.

En cas de réélection, les conservateurs de David Cameron se sont engagés à débloquer 8 milliards de livres (11 milliards d’euros) pour le NHS. Une promesse impossible à tenir selon les travaillistes, qui défendent une proposition moins ambitieuse (seulement 2,5 milliards de livres) mais plus réaliste. David Cameron n’a par ailleurs pas réellement détaillé de programme concernant l'évolution du système de santé britannique, alors qu'Ed Miliband s'est montré à cet égard plus offensif. En cas de victoire, le Labour a ainsi annoncé qu'il lutterait contre les privatisations et augmenterait le nombre d'infirmières (+ 20 000), de sage-femmes (+ 3000) et de médecins (+ 8000). Des propositions très bien accueillies par les Britanniques, et qui pourraient faire la différence le 7 mai prochain.

Juliette Perrot, avec Loïc de La Mornais