L'ancien premier ministre a déjà sauvé le Royaume par le passé, peut-il aujourd’hui en préserver l’unité ? Écossais d'origine, l’homme qui estime avoir maintenu l’équilibre des marchés et rétabli l’ordre économique mondial vient d’être recruté par le camp du Non pour prêcher sa cause. Sera-t-il à la hauteur ? Voici quatre raisons de penser que Gordon Brown est l’homme de la situation !
Il est Écossais.
Et en tant que tel, il a certainement son mot à dire. Ce fils de prêtre au caractère bien trempé n'a pas sa langue dans sa poche dès qu'il s'agit de veiller sur les intérêts de sa terre natale.
La venue de David Cameron en Écosse n’a pas apaisé les tensions. Au contraire, les partisans du Oui sentent bien que la balle est dans leur camp, que le gouvernement est fébrile. Il aura fallu attendre que le Oui passe en tête dans les sondages pour que le Premier Ministre leur accorde de l’intérêt. Qu’importe, il est trop tard désormais, ils ont l’avantage et comptent bien le garder.
La prise de position de Gordon Brown ne changera pas le sentiment de victoire des séparatistes : l’Écosse quoi qu’il arrive, obtiendra plus d’autonomie. Lui-même n’en demande pas moins et y voit même une double victoire pour sa nation : plus de pouvoirs pour le parlement écossais, tout en restant dans une union qui lui garantisse stabilité économique et politique.
En tant qu’Écossais, Gordon Brown a à cœur les intérêts de l’Écosse, et c’est bien pour cette raison que son avertissement, « une séparation irréversible ou un parlement écossais plus fort » fait écho parmi la population écossaise, et en particulier chez les derniers indécis.
Il est de gauche.
C’est le deuxième avantage de Gordon Brown (premier ministre de 2007 à 2010) sur son successeur du 10 Downing Street. Certes, ce dernier lui a infligé une lourde défaite lors des élections générales de 2010, mais c’est aujourd’hui le conservateur David Cameron qui est en difficulté. L’Écosse est un pays historiquement ancré à gauche. Les Anglais eux, supportent traditionnellement les partis de droite ou du centre. Ainsi bien qu’ils votent à gauche, les Écossais au bout du compte, finissent toujours par subir les décisions d’un gouvernement conservateur. Et cela commence à les ennuyer sérieusement.
L’écart politique entre ces deux pays est d’autant plus flagrant que les Écossais n’ont élu qu’un seul député conservateur pour les représenter à Westminster. Un fossé que manifestement David Cameron n’est pas en mesure de combler.
Les militants du Oui sont convaincus que l’indépendance leur apportera enfin ce gouvernement de gauche auquel ils aspirent. Gordon Brown, en tant qu’ancien leader du Labour party et figure emblématique de la gauche, est plus en mesure de rassurer les Écossais sur le sort qui les attend s’ils décident de rester dans l’Union.
Il a les épaules d’un sauveur.
Déroutés par la soudaine poussée du Oui dans les sondages, les militants du Non semblent bien incapables de réagir. En l’absence de leader charismatique pour porter haut les valeurs du Royaume-Uni, Gordon Brown est sorti de sa semi-retraite politique pour conduire la voiture travailliste et reprendre le contrôle du débat.
Il a d’ores et déjà proposé une feuille de route et un calendrier de mesures qui accorderaient plus de pouvoirs au parlement écossais. Dans la tourmente, il apparaît comme le seul homme d’État capable de gérer la crise avec pragmatisme.
Il faut dire qu’en 2008, il était en poste lorsqu’il a fallu faire face à l’effondrement imminent du système financier mondial. Les uns après les autres, hommes et femmes politiques européens et américains, banquiers et autres membres de l'élite mondiale, ont reconnu le rôle central que Gordon Brown a joué dans la prévention d’une catastrophe planétaire. Beaucoup considèrent que sa décision de prendre le contrôle de trois grandes banques britanniques a incité Européens et Américains à faire de même.
Il sait jouer sur les émotions.
C’est un aspect de sa personnalité jusqu’alors méconnu du grand public. Plutôt un habitué des discours impersonnels liés à la macro-économie, Gordon Brown a surpris tout le monde cette semaine en évoquant, les larmes aux yeux, la mort de sa petite fille, décédée bébé d'une hémorragie cérébrale. Dans un plaidoyer passionné, l’ancien premier ministre a tenu à faire taire les rumeurs de privatisation du système de santé britannique, et a ainsi démonté l'une des annonces phares d'Alex Salmond: que seul un vote pour le Oui pouvait sauver le National Health Service (l'équivalent de la Sécu au Royaume-Uni) des coupes budgétaires envisagées par les conservateurs.
La voix tremblante, Gordon Brown a relaté les derniers instants de la vie de sa fille, et a vanté les mérites du NHS et de son personnel, qui jusqu’au bout, a œuvré pour sauver l’enfant. Il a aussi raconté comment le service de santé public a sauvegardé la vue de son second œil, après qu'un accident de rugby l'ait laissé aveugle de l'œil gauche à l'âge de 16 ans.
“J’aime l’Écosse, et j’aime le NHS,” a-t-il déclaré devant les militants du parti travailliste réunis à Glasgow.
S'il parvient à insuffler un peu de cette passion dans ses discours, alors Gordon Brown pourrait bien être le sauveur de l'Union. C'est certainement ce qu'il ira crier sur les toits si le Non l'emporte en fin de semaine.
Elise Dherbomez avec Loïc de la Mornais