Il avait trouvé refuge en Belgique depuis plus de deux ans pour fuir la justice espagnole. L’indépendantiste catalan Carles Puigdemont est sorti officiellement du royaume la semaine dernière, pour siéger comme eurodéputé à Strasbourg. Avec lui, l’ancien ministre de son gouvernement régional, Toni Comin également en exil en Belgique.
Ils étaient trois régionalistes catalans victorieux lors des élections européennes du 26 mai dernier. Mais aucun n’était parvenu à siéger au Parlement européen depuis, ni même à faire valoir ses droits d’élu. L’Espagne refusant toujours de reconnaitre leurs mandats, en plus de maintenir à leur encontre toute une série de poursuites judiciaires.
Mais en décembre dernier, coup d’éclat : la Cour de Justice de l’Union Européenne estime qu’un député est élu à la proclamation du scrutin. Et reconnait de fait l’élection de Carles Puigdemont, Toni Comin et Oriol Junqueras (actuellement emprisonné en Espagne). Ils obtiennent avec cette décision l’immunité parlementaire accordée à chaque élu européen. Après deux années d’exil, les deux indépendantistes catalans redeviennent ainsi libres de circuler sur le territoire communautaire, d’autant que les mandats d’arrêts européens émis par l’Espagne ne peuvent outrepasser leur immunité.
Deux, sans trois au Parlement européen
Mais ils ne sont plus trois, mais finalement deux élus au Parlement européen. L’institution a en effet retiré sa qualité d’eurodéputé à Oriol Junqueras. Le président du PE, David Sassoli, l’annonçait dans un communiqué vendredi 10 janvier dernier : « Le mandat de M. Junqueras a pris fin avec effet au 3 janvier 2020 ».
À cette date, la justice espagnole confirmait que la condamnation de M. Junqueras, pour détournement de fonds et sédition, impliquait bien une peine de treize ans de prison et d’inéligibilité, à compter du mois d’octobre. Sur cette base, le Parlement européen aurait estimé que l’indépendantiste n’était déjà plus eurodéputé lors de l’émission de l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE. Ce qui rendrait caduque sa décision concernant Oriol Junqueras.
L’annonce de David Sassoli étonne encore. D’autant qu’au lendemain de l’annonce de la Cour de justice de l’UE, le président du Parlement se réjouissait de l’arrivée future des indépendantistes catalans. En coulisse, les Espagnols du groupe Socialistes et démocrates, auquel appartient David Sassoli, auraient fait pression sur lui pour empêcher l’entrée des catalans dans l’hémicycle. Membres du parti socialiste au pouvoir en Espagne, ils craignent que l’assemblée strasbourgeoise serve de tribune aux projets indépendantistes catalans et réveille l’hostilité régionaliste à l’encontre du gouvernement central.
Les Catalans divisent les Verts
Pour peser plus dans l’hémicycle, Carles Puigdemont et Toni Comin, qui siègent actuellement comme non-inscrits, ont fait savoir qu’ils souhaitaient intégrer l’Alliance Libre Européenne (ALE) et donc siéger dans le groupe des Verts européens.
Mais les Verts ne l’entendent pas de cette oreille-là et la demande reste lettre morte. Pour Philippe Lamberts, co-président du groupe, il s’agit d’un problème de concordance des programmes et des visions politiques :« ces deux eurodéputés se sont constamment placés sur la même ligne qu'un parti (la N-VA) dans leur pays d'accueil, la Belgique, qui siège dans un autre groupe. Je trouve cela assez absurde qu'ils cherchent maintenant à intégrer un autre groupe, aux valeurs qui sont clairement opposées à celles de leurs meilleurs amis belges ».
La N-VA appelle à ce titre les deux entrants non-inscrits à rejoindre leur groupe, les Conservateurs et Réformistes européens (ECR). Mais Carles Puigdemont a déjà exclu être intéressé par la proposition.
Ces négociations et pourparlers partisans ont un intérêt stratégique primordial ; les deux Catalans ont tout intérêt à conclure une alliance parlementaire. La Justice espagnole a fait parvenir au Parlement européen une requête pour lever leur immunité. La demande doit être étudiée par la Commission des affaires juridiques et pourrait aboutir, d’ici quelques semaines ou quelques mois, à déchoir Carles Puigdemont et Toni Comin, si l’hémicycle strasbourgeois les lâche.
Luca Campisi