L'entraide, le remède des Brésiliens

La quarantaine n’a pas empêché les Brésiliens de créer de nouvelles façons de s’entraider. Peu importe le milieu social, des médecins aux habitants de favela, l’heure est à la solidarité. Plus que de rester bloqué chez soi, il s’agit de trouver des moyens pour rester utile et se divertir… Comment les Brésiliens parviennent-ils à survivre au confinement ?

                Se mobiliser pour aider le personnel soignant

                Depuis le 18 mars, le secrétaire à la Santé de l’Etat de Rio, Edmar Santos, a lancé un programme de volontaires pour aider le personnel soignant dans la lutte contre le coronavirus.  En 48h, plus de 15 000 personnes se sont inscrites sur le site de recrutement. Parmi elles, des médecins, des infirmiers, des physiothérapeutes, des nutritionnistes, des psychologues et tout autre professionnel travaillant dans le secteur de la santé. Etudiant infirmier, Douglas Bourges fait partie des 56% de volontaires étudiants à passer l’entretien de recrutement. Ses motivations sont claires : « Je n’ai pas peur de m’exposer au Coronavirus, parce que je suis né pour combattre une situation comme celle-ci ». Suivre leur vocation, c’est ce qui a poussé nombre de professionnels à s’inscrire pour faire face ensemble à la pandémie. Cristina Quadrat a elle aussi décidé de faire partie des renforts. Riche de 30 années d’expérience professionnelle, cette médecin de 56 ans a déjà participé à la lutte contre Ebola au Portugal en 2014. « Dans ces moments-là, toute aide est bienvenue. Nous savons que cette crise peut s’amplifier. Je suis donc heureuse de pouvoir aider le plus de personnes possibles dans cette période difficile. ». Les candidats sont envoyés dans les hôpitaux et postes de santé les plus en détresse.

           S'isoler ou subsister : le grand dilemme des habitants de favela

                Nord de Rio de Janeiro. Le complexe de la Maré est un énorme complexe regroupant plus de 16 favelas. « Avec l’arrivée de la crise du Coronavirus, il est plus que nécessaire de veiller à la sécurité alimentaire de la population, de l’aider à accéder à la justice, de prévenir les violences conjugales… » explique la directrice de Redes da Maré, Eliana Silva Sousa. 

L’association Redes da Maré s’occupe depuis 20 ans de représenter les 140 000 habitants de ce territoire qui s’étale sur plus de 400 hectares. Grâce aux critères de revenus La Rede Maré a sélectionné les 6000 familles les plus dans le besoin. « Nous avons, pour l’instant, réussi à fournir 2 500 kits de nourriture et produits hygiéniques. Nous arrivons à distribuer 200 plats par jour aux sans domiciles fixes. » souligne Eliana. Aidée d’une équipe de 500 bénévoles, elle fait tout pour que les habitants soient le moins touchés par la diminution de leurs revenus. Les volontaires veillent aussi à la circulation d’informations officielles et vérifiées pour lutter contre la propagation de fake news sur le virus. Ils publient tous les jours sur les réseaux sociaux un compte-rendu des informations importantes de la journée.

                La restauration à l’heure du confinement

                « J’ai dû prendre une décision avec l’arrivée du Coronavirus. Les applications de livraison à domicile me prélèvent des taxes de 25 à 27% sur chaque course et je dois attendre 28 jours avant de pouvoir recevoir l’argent. Avant, j’arrivais à gagner 400 reais par mois (environs 70 euros) avec ces services. Maintenant c’est devenu invivable pour moi. » Alors Madu Medo, cheffe du restaurant Mandioca Cozinha a décidé de continuer de vendre ses plats mais d’une autre façon… Ce sont ses voisins qui se chargent de la livraison ! La cheffe a observé que la plupart d’entre eux exercent des professions indépendantes sans revenus fixes. Pour éviter que tout le monde se retrouve sans travail, elle a trouvé la parade : l’entraide ! Et les embaucher lui permet de continuer son activité. Spécialiste de la cuisine à base de manioc, une racine brésilienne très populaire au Brésil, son restaurant propose habituellement des plats à 30 reais (environs 5 à 6 euros). Mais au temps du Coronavirus, elle a décidé de diminuer le prix de ses plats à 5 reais (un peu plus d’1 euro) pour permettre à tous les budgets d’accéder à sa cuisine. Sur les 85 000 reais (14 926 euros) par mois qu’elle gagnait avant, elle n’en gagne plus que 40% pendant le confinement. « Je participe aussi à des projets en commun avec d’autres restaurants pour être aidée mais aussi aider. » Des sites internet comme « Abacaxi » ou « Apoie um restaurante » ont vu le jour depuis le début de la crise. Ces plateformes permettent de soutenir les bars et les restaurants en leur achetant des plats et des boissons qui seront consommés après le confinement. Cet argent permet aux restaurateurs de pouvoir continuer de payer leurs salariés et leurs diverses factures. En plus de donner ses invendus aux personnes sans domicile fixe, Madu Medo va lancer mi-avril une production spéciale pour eux !

 

                La nouvelle richesse de la culture brésilienne : le live vidéo

                Lorsqu’on parle de culture brésilienne, on pense tout de suite à la samba. Cette danse nationale se développe d’autant plus sur les réseaux sociaux depuis le début du confinement. Durant la dernière semaine de mars et la première semaine d’avril, la célèbre école de Samba Salgueiro a partagé ses secrets de fabrication sur Instagram. Classée parmi les 10 meilleures écoles qui ont défilé cette année au Carnaval de Rio, elle a proposé des cours de percussions et de danse, ainsi que des interviews avec ses plus célèbres chanteurs et sambistes. La Samba au temps du corona…. Et bien d’autres arts brésiliens aussi… 

19h. Mestra Iuna, une des maîtres du groupe de capoeira Candeias, s’apprête à être interviewée lors d’un direct sur Instagram par Lais Jireh, une autre capoeiriste. « A travers ce média, nous pouvons plus facilement nous rapprocher du monde entier. Nous pouvons développer de nouvelles formes d’apprentissage. »  Cet art martial brésilien créé par les esclaves pour se défendre voyage ainsi à l’autre bout de la planète. La veille, elle a donné un cours de capoeira en vidéo-conférence à des élèves… en Irlande ! Pour elle, le confinement lui permet d’avoir le temps de faire des recherches sur l’histoire de la capoeira, sa culture et sa musicalité. « Cette quarantaine permet d'augmenter la diffusion de la capoeira ». Les élèves ont la possibilité d’écouter les histoires racontées par d’illustres maîtres de  capoeira. Ils peuvent même leur poser des questions, ce qui en temps normal se fait majoritairement dans des événements payants. Le nombre de spectateurs peut varier de 30 à 400 selon les horaires et les personnalités proposées. En plus d’aider à une diffusion à grande échelle de ce sport national et historique, Mestra Iuna insiste sur le fait qu’il est important de montrer l’exemple : « Nous sommes des formateurs d’opinion, nous devons montrer qu’ensemble nous pouvons rester à la maison. » Pratiquer ce sport acrobatique aux mouvements amples dans une petite pièce est presque possible : même si elle pousse le canapé, sa pièce à vivre reste minuscule. C’est pour elle un moyen de s’entrainer à avoir une vision à 360° !

Mathilde Bigeault