Jair Bolsonaro, ou le confinement politique.  

Face au discours du président brésilien qui minimise la crise du Covid-19, nombreux·ses sont ceux qui appellent à sa destitution. Jair Bolsonaro est désormais lâché par nombre de ses soutiens. 
 
Dans un monde désormais calfeutré, le moins que l’on puisse dire, c’est que la position de Bolsonaro est dissonante. Le chef de l’État se montre, selon l’opposition et de nombreux·ses Brésilien·ne·s, irresponsable. À quelques semaines du pic du Covid-19 dans le plus grand pays d'Amérique latine, le président appelle déjà à un retour à la normalité et demande aux gens de retourner travailler. Il souhaite rouvrir les espaces publics et les commerces en plein milieu de la pandémie, contredisant non seulement l’OMS mais aussi ses propres responsables de la santé. « Le Brésil ne peut pas supporter de rester deux ou trois mois à l’arrêt » a t-il lancé comparant le virus à une « pluie » qui se contentera de « mouiller 70% de la population. ». Pour réduire l’impact du confinement sur l’économie, Jair Bolsonaro préconise l’ «  isolement vertical », qui ne concernerait que les populations jugées à risque, notamment les personnes âgées.  
Selon bon nombre d’éditorialistes, une nouvelle fois, le président démontre une inhabilité à gouverner, à protéger sa population et prendre les mesures adéquates, plongeant ainsi son pays dans l’incertitude et dans le flou. Minimisant l’importance de l’épidémie, le 15 mars, il ne résiste pas à la tentation de prendre un bain de foule, sans masque ni gants et contre l’avis de son équipe médicale. Il serre alors les mains de sympathisant·e·s alors qu’il aurait dû être confiné après un voyage aux États-Unis avec sa délégation dont 17 membres sont alors déjà contaminé·e·s. Il aurait été en contact avec 272 partisan·e·s ce jour là. Le 29 mars, une nouvelle fois il ressort de son palais pour rendre visite aux commerces restés ouvert à Brasilia, provoquant des attroupements et prenant même des photos avec ses soutiens. Âgé de 65 ans, il affirme : « avec mon passé d'athlète, si j'étais infecté par le virus, je n'aurais pas à m’inquiéter de cette petite gripette ». 
Il y a une semaine, le tribunal fédéral de Rio de Janeiro interdisait au gouvernement Bolsonaro de diffuser des messages allant à l’encontre des mesures de confinement décidées au niveau local pour freiner la propagation de l’épidémie de COVID-19. Une décision qui fait suite à une demande émise par le Parquet fédéral qui réclamait l’interdiction d’une campagne gouvernementale baptisée « Le Brésil ne peut pas s’arrêter ». Une "erreur de communication", la campagne qui a été démentie quelques heures plus tard par Jair Bolsonaro lui-même.  Ces derniers jours, les réseaux sociaux Twitter, Facebook et Instragram ont même effacé des messages publiés sur les comptes officiels du président, considérant que la « désinformation » causait du tort à la population.
Le Brésil est le pays le plus affecté d’Amérique du Sud, avec, selon le ministère de la santé ce samedi 4 avril, 432 morts et 10278 cas confirmés.
 
Jair Bolsonaro totalement isolé 
 
Alors que depuis des semaines, tous les soirs, la population demande sa démission dans un concert de casseroles aux fenêtres, le président se retrouve de plus en plus isolé sur la scène politique. Le gouverneur de Rio de Janeiro, Wilson Witzel, va même jusqu’à affirmer que Jair Bolsonaro doit être jugé pour crime contre l’humanité. Et le président est lâché jusque dans son propre camp. C’est une députée de São Paulo, un des soutiens de Jair Bolsonaro, Janaina Paschoal (PSL-extrême droite) qui a appelé à lancer une procédure. Le lendemain, une demande était officiellement déposée par des député·e·s, maires et intellectuel·le·s du PSOL (parti socialisme et liberté-gauche). 
Le président du Sénat, Davi Alcolumbre, lui aussi un soutien de Jair Bolsonaro, touché par le Covid-19, affirme que le président met en danger son pays. Le gouverneur de l’État du Goias, Ronaldo Caiado, a annoncé avoir définitivement rompu politiquement avec le chef d’État. Selon lui, un président ne peut pas gouverner « selon son humeur ». Pourtant Caiado était considéré comme un des gouverneurs les plus proches de Jair Bolsonaro. « C’est une rupture totale, définitive » a-t-il déclaré avant d’ajouter : « il n’a pas tant de pouvoir. Ses décisions n’affecteront pas mon État ».
Plusieurs ministres importants du gouvernement se sont montré·e·s en faveur du confinement, notamment celui de la Justice, Sergio Moro, et de l’Économie, Paulo Guedes. Luiz Henrique Mandetta, son ministre de la santé, médecin de formation, ayant participé activement à la campagne du président, préconise « le maximum de distanciation sociale ». « Je ne me fonde que sur des critères scientifiques. Certain·e·s se fondent sur des critères politiques, qui sont importants eux aussi. Laissons-les faire, ils ne me gênent pas », a t-il déclaré ce mercredi. Une attitude « calme et concentrée » vantée par Damares Alves, ministre de la famille et pasteur évangélique. « Il faudrait qu'il écoute plus son président, il manque un peu d’humilité », a lâché Jair Bolsonaro concernant Mandetta. Bien qu’il assure ne pas « limoger (Mandetta) en pleine guerre » il a ajouté qu'aucun ministre n'était « irremplaçable ».
 
Gouverneurs et populations prennent les devants 
 
Mais au temps d’une crise sanitaire, le Brésil peut difficilement affronter une crise politique. Car la destitution est un processus politique et juridique long et difficile. Partout dans la presse on lit que beaucoup préfèrent le laisser se couler lui même. En réalité, estimait Marcos Nobre, un philosophe et chercheur en sciences sociales brésilien, qui commentait cette demande d’impeachment : « depuis que Bolsonaro est arrivé au pouvoir, le gouvernement fonctionne malgré le président. » 
Presque tous les gouverneurs ont adressé une lettre de protestation à Jair Bolsonaro. En parallèle, ils ont pris les devants en encourageant à l’isolement social, à fermer les églises, les centres commerciaux et les écoles, et interdisant les rassemblements. 
Le 30 mars João Doria, le gouverneur de São Paulo, alerte la population : « S’il vous plait, ne suivez pas les recommandations du président, il n’oriente pas correctement la population et lamentablement ne mènera pas le pays vers la lutte contre le coronavirus. » Le maire de Sao Paulo, Bruno Covas, a ajouté dans une interview au journal O Globo que « si les gens suivaient les conseils du président, qui n’ont aucune base scientifique, la situation à São Paulo exploserait comme à Milan ». L'État  de Sao Paulo est le plus touché du Brésil. La ville aurait déjà testé environ 20 000 patients et attend plus de 100 000 tests à partir du 10 avril.
Les ministres aussi prennent des mesures de leurs côtés : plan de soutien à l’économie, achat de 5 millions de tests et de 200 millions de masques chirurgicaux, construction d’un centre hospitalier à Rio et mobilisation de 18 000 militaires. 
Le dialogue semblait apaisé cette semaine lorsque le Chef d’État, à la télévision, proposait un pacte national aux gouverneurs et maires pour affronter la pandémie. Changeant radicalement de ton il affirmait « l’importance d’une union de nous tous ». Le coronavirus est « le plus grand défi de notre génération » déclarait-il à la surprise générale, ajoutant que « sa préoccupation a toujours été de sauver des vies ».  Mais quelques heures plus tard seulement, Jair Bolsonaro critiquait a nouveau les gouverneurs ce mercredi déclarant qu'il doutait qu'ils descendent dans la rue, comme lui l’a fait le président, car ils ont « peur » du Covid-19.
Au même moment, médecins et chercheurs avertissent que le manque de tests signifient que personne ne connaît l'ampleur réelle de la propagation de Covid-19 au Brésil. Dans les hôpitaux on craint de manquer d'équipement de protection individuelle avant que toute la force de la pandémie n'ait frappé.
 
Finalement, Jair Bolsonaro, risque de provoquer, au delà d’une procédure d’impeachment, ce que les analystes de la santé publique craignent, des morts massives et l'effondrement d'un système de santé déjà défaillant. Le Brésil est l’un des pays les plus inégaux du monde. La promiscuité et les conditions de vie insalubres des populations les plus pauvres, vivant dans les favelas, vont accélérer la propagation de l’épidémie. Des Brésiliens dépendant du système de santé public, qui à Rio, était déjà surchargé avant même le Coronavirus. 
Perrine Juan