Tous les ans, depuis un siècle, la banlieue nord de Rio célèbre le Bate-Bola. Loin des défilés des écoles de samba, les habitants se préparent toute l’année pour ce carnaval, entre joie et terreur.
Ce dimanche, le Sambodrome se prépare à accueillir les défilés des écoles de samba les plus prestigieuses. À une heure de trajet du centre ville, après avoir laissé derrière nous l’immense complexe de favelas « Chapadão », nous voilà à Marechal Hermes. C’est un quartier de classe populaire dans la banlieue nord de Rio de Janeiro. Ici, il n’y a pas de plages, pas de reine de batterie, ni de danseuses de Samba. Cet univers est d’ailleurs très masculin. Dans la cour d’une maison du quartier, Bruno apporte les dernières touches à son costume. C’est avec une immense fierté qu’il nous le montre. Il a économisé toute l’année et passé des mois à le confectionner. Son groupe « Turma da Praça » est l’un des plus traditionnels.
Les grands gaillards enfilent leurs costumes. Écoutant du funk, ils se préparent à sortir dans um tourbillon de plumes et de bières. À mille lieux des « blocos » et défilés officiels, les rois du carnaval, ici, sont ces habitants des quartiers populaires.
« Le carnaval de la zone sud est devenu beaucoup plus élitiste. Ce n’est pas ça l’esprit du carnaval pour nous. » explique Eduardo, le chef du groupe, l’air sévère. Ces hommes sont des clowns aux visages diaboliques, mais somptueusement vêtus de combinaisons de satin, de gants, de collants et de plumes colorées, d’un masque intégral et de paillettes. Cette année ils ont investi dans des baskets, « plus confortable pour défiler dans la rue » selon Bruno.
Une attitude effrayante
À l’origine du bate-bola, des petits groupes se réunissaient et déambulaient avec des balles géantes en vessie de vache, attachées par une corde à un bâton ou un câble, qu’ils frappaient au sol dans un vacarme terrifiant. Maintenant, ce sont des balles en plastique, beaucoup moins bruyantes, mais l’attitude effrayante semble perdurer.
« Masque rose ? Masque rose ? » S’égosille Eduardo, qui finit par distribuer les masques lui même, s’impatientant. Les préparatifs s’éternisent et les esprits s’échauffent, embrumés par la Brama. Eduardo, le leader du groupe commence à perdre patience. « Est-ce qu’on va rester ici, à rien faire ou est-ce qu’on va sortir ce p***** de Bate-Bola dans la rue ? » N’appréciant pas la sommation, certains commencent vaguement à se battre. Mais une fois les tensions apaisées, ils enfilent leurs masques et se préparent à sortir. Un habitant du quartier a prêté sa maison, pour les derniers ajustements et stocker les costumes. Derrière le portail de la cour, les habitants attendent avec impatience leur sortie, écoutant eux aussi du funk. Le groupe se parfume, ajuste leurs plumes. Ils sortent enfin en courant, sous les pétards et feux d’artifice dans un chaos assourdissant. Et pour quelques heures, ces laissés-pour-compte se retrouvent au centre de l’attention.
Une mauvaise réputation
Le Bate-Bola a mauvaise presse. Certains groupes sont connus pour leurs membres appartenant à des gangs de Rio. Il arrive que parfois, des affrontements éclatent entre plusieurs groupes ennemis. Mariana, semble être la femme dans les parages. Elle raconte : « Je suis totalement passionnée par le Bate Bola, c’est mon père qui m’y a emmené pour la première fois quand j’avais trois ans. » Confie-t-elle du haut de ses 16 ans, et de son visage calme et angélique. Son père, c’est Eduardo, le chef de groupe. Elle poursuit, « avant, le bate-bola était vu comme quelque chose d’effrayant, mais maintenant c’est vu comme quelque chose de plutôt marrant. »
Lors de la parade dans la rue, plusieurs groupes se sont donné rendez-vous. Mais rapidement des bagarres éclatent. « La violence fait partie de notre quotidien. Mais le carnaval c’est une passion. Le bate-bola c’est l’amour. L’amour pour ce que tu fais, l’amour pour ce que tu portes. C’est un immense honneur aujourd’hui d’exposer notre idée à travers nos costumes, aux gens qui nous admirent. »
Loin des caméras et du glamour des défilés du centre-ville, les bate bola n’ont pourtant rien à envier au faste des écoles de Samba. « Pour moi ça représente tout, toute l’année. Les gens ici vivent le bate-bola quotidiennement, comme une école de samba. Il y a un local, un thème, des costumes, des feux d’artifice… C’est le meilleur moment de l’année », explique Leandro Lucio de Oliveira, ce vendeur de 30 ans, à la carrure impressionnante, emmitouflé dans son écharpe de plumes violentes, son masque relevé sur la tête. Aujourd’hui il est venu avec son fils qui ne semble pas avoir plus de deux ans.
Pas d’aide de l’État
Tous les moyens sont bons pour s’offrir un déguisement à la hauteur du prestige du Bate-Bola. L’émotion dans les yeux, Bruno explique : « C’est comme l’eau ou l’électricité, le bate bola fait partie des charges fixes, tous les mois j’économise. » Le cout par personne est de deux milles réais. L’équivalent de deux salaires minimum brésilien. Autrement dit une véritable fortune. Pourtant entré au patrimoine culturel de la ville depuis 2012, le Bate-Bola ne reçoit pas d’aide de l’État, contrairement aux écoles de samba. Pour le faire perdurer, ces Cariocas doivent le financer eux-mêmes et passent toute l'année à coudre leurs déguisement. Même s’ils doivent parfois se priver pour économiser, que cela peut empiéter sur leurs emplois ou leurs études, pas question d’abandonner.
Les gardiens de cette tradition assurent la survie du Bate-Bola entre beauté et terreur. Bien que souvent considérée comme une violente célébration du Carnaval, c’est surtout une affaire de famille transmise de génération en génération.
Perrine Juan