A Mococa, dans l'Etat de Sao Paulo, la justice a obligé la mairie à stériliser une sans-abri de 36 ans. Consommatrice de drogues, mère de cinq enfants, elle n'a pas eu droit à une défense.
"Janaína est une femme pauvre, en situation de rue, et qui a des enfants. Pour cela, un membre du Ministère public s'est dit qu'elle devait être stérilisée". C'est avec cette phrase, dans un édito du journal Folha de Sao Paulo, qu'Oscar Vilhena Vieira, enseignant à la Fondation Getulio Vargas - une école (et lobby) de droit reconnue du Brésil -, révèle la situation inhumaine vécue par une sans domicile fixe brésilienne.
Janaína a 36 ans, elle a cinq enfants. C'est en accouchant du sixième en octobre 2017 que la justice a décidé de la stériliser. "Il n'y a pas de doute que seule une ligature des trompes sera efficace pour la sauver", avait alors affirmé le procureur de Mococa, une ville située à 280 km de Sao Paulo. Là où vit Janaína.
Rappel des faits: le procureur du Ministère public fait la demande de stérilisation auprès de la municipalité. Moins d'un mois après, le juge du tribunal de première instance valide la demande. Pourtant, Janaína n'a jamais consenti à cette chirurgie. Elle n'a pas pu se défendre. Le juge ne réalise pas une seule audience, ni ne nomme un défenseur. Pire, il ne prouve même pas le consentement de la femme sans-domicile.
Le tribunal de seconde instance revoit la décision et l'annule. Bien tardivement. Trois mois plus tard. "Quand le recours de la municipalité est arrivée au tribunal de justice de Sao Paulo, la mutilation avait déjà eu lieu", raconte Oscar Vilhena Vieira.
La stérilisation comme "traitement"
Parce que Janaína est pauvre et à la rue, parce qu'elle est mère de cinq enfants, le procureur du Ministère public détermine qu'elle "ne montre aucun discernement pour juger des conséquences d'une grossesse". Et soutient donc cette stérilisation pour éviter des risques aux enfants. Une mutilation qu'il justifie par l'addiction aux drogues de Janaina. Elle a "une grave dépendance chimique, étant une consommatrice coutumière d'alcool et autres substances narcotiques".
Même si la mairie a demandé d'autres actions pour aider Janaína, comme le recours à un médecin pour suivre son cas, la décision du juge a été celle de la ligature des trompes. Un juge qui va même plus loin pour justifier ce choix. Il évoque cette mutilation comme un "traitement" et rappelle que "l'obligation des personnes politiques pour assurer l'efficacité du droit à la santé des citoyens est incontestable et est constante dans divers textes juridiques", pour contraindre la municipalité de Mococa à opérer la sans-domicile fixe.
Pratique illégale
Oscar Vilhena Vieira dénonce une décision coercitive qui a mené au processus chirurgical, c'est-à-dire une décision imposée par la justice. C'est pourtant une pratique illégale. "La Constitution interdit expressément que l'Etat brésilien intervienne de manière coercitive dans la décision sur la paternité, et que la loi 9.263/96 qui régule la planification familiale interdit le contrôle des naissances qui serait de nature démographique", précise l'enseignant en Droit.
"La stérilisation coercitive, imposée par l'Etat, avec des fins eugéniques et l'épuration d'une race a été largement employée par le régime nazi. La Chine en a fait un usage de masse pour contenir la natalité. Les Etats-Unis l'ont employée pour punir des criminels. Même au Brésil, comme l'a pointé une commission parlementaire d'enquête, encore en 1991 il y avait de la tolérance envers les politiques de stérilisation coercitives de masse, avec des finalités démographiques".
Oscar Vilhena Vieira
Le Brésil est un des pays les plus inégaux au monde où plus de 50 millions de brésiliens vivent sous le seuil de pauvreté. Stériliser une femme parce qu'elle est pauvre, vit à la rue et ne peut pas s'occuper de ses enfants, sans même la laisser se défendre, c'est la priver de ses droits humains. "Ce cas, bien qu'il puisse être considéré comme une aberration juridique, montre l'impact pervers que la profonde et persistante inégalité cause sur la reconnaissance des personnes comme sujets de droits", dénonce Oscar Vilhena Vieira.
Même si des critiques ont fusé parmi des groupes de défense des droits humains, des collectifs féministes ou des membres de la classe judiciaire, le juge et le procureur sont aussi défendus. Comme par cette enseignante de droit pénal à l'Université de Sao Paulo :
8) Uma usuária de crack, com sucessivas gestações e já vários filhos abandonados, vítimas de violência, que não aceita se tratar da drogadição. O Ministério Público pede a esterilização. O que deveria o juiz fazer? O juiz não pode manter a mulher internada!
— Janaina Paschoal (@JanainaDoBrasil) June 11, 2018
"Une consommatrice de crack, avec des grossesses successives et déjà plusieurs enfants abandonnés, victimes de violences, qui n'accepte pas de se soigner de sa addiction. Le Ministère public demande la stérilisation. Que devait faire le juge ? Le juge ne peut pas maintenir une femme internée !"
Un député fédéral de gauche (Parti des travailleurs), Wadih Damous, a toutefois déposé une requête contre le juge et le procureur de Mococa, auprès de tous les organes disciplinaires concernés : le Parquet Fédéral des Droits du Citoyen, le Conseil National des Droits de l'Homme, le Conseil National de la Justice et le Conseil National du Ministère public.
Louise Raulais pour Fanny Lothaire