Les employés domestiques, l'armée sacrifiée

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Dans la petite favela de Babilonia, sur les hauteurs de la mythique plage de Copacabana, Anna en pleurerait presque. Les membres de l’association des habitants du quartier, accompagnés du pasteur de l’Eglise évangélique du coin viennent de lui déposer un panier de produits et d’aliments de première nécessité. Du riz, des haricots, de l’huile, de la farine de manioc et du café… la base de l’alimentation brésilienne. « Franchement sans ça, je ne vois pas comment j’aurai continuer…. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, je suis condamnée à rester chez moi, je ne vais pas chercher un nouveau travail maintenant, personne ne voudra de moi ». Anna était employée domestique pour une famille bourgeoise du quartier chic de Leblon. Elle s’occupait de la grand-mère de la famille, fragile des poumons. Une aide à domicile vitale qui s'est transformée en quelques jours un potentiel danger de mort pour elle et la famille. Alors ni une ni deux, son patron l’a tout simplement licenciée.

Plus de 4 millions de soldats invisibles

Sans contrat signé, Anna travaillait dans l’illégalité la plus totale. Résultat, pas d’indemnités de licenciement, pas de prime de précarité et pas de chômage. Devant sa maison de briques où le linge de ses 3 enfants sèche au soleil de ce mois d’automne, elle sourit enfin depuis 10 jours.
L’histoire d’Anna, c’est celle de milliers d’employés domestiques, femmes de ménages, cuisinières, aides à la personne âgée, mais aussi chauffeurs, jardiniers…. Ils seraient 6,3 millions au Brésil. Plus de 4 millions d’entre eux ne seraient pas déclarés. Déjà précaire, leur situation s’est empirée avec le Coronavirus, les employeurs craignant une possible contagion pendant leurs allers et venus dans les transports publics bondés. La plus-part ont été remerciés du jour au lendemain.

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C’est que la première morte du Covid-19 a laissé une plaie béante au Brésil. Celle entre les riches et les pauvres. C'était une employée domestique de 63 ans, originaire du quartier populaire de Miguel Perreira, à 1h 30 de bus de son travail. Elle est décédée du virus rapporté dans les valises de sa patronne lors d’un récent voyage en Italie.
« Foutue maladie de riches ! «  s’insurge Rafael, un des membres de l’association des habitants de Babilonia en livrant le reste des paniers de première nécessité. « Tous ceux que vous rencontrez là, ils étaient travailleurs informels et employés…. » Et quand on parle de l’aide promise par le ministre de l’Economie Paulo Guedes aux personnes âgées et aux employés, Rafael lève les yeux au ciel. « Mais ça représente 200 réais par mois! (30 euros environs) vous croyez qu’on fait quoi avec ça? Et encore! C’est pour ceux qui ont leur carte de travailleur (inscription légale au Brésil, pour tout travailleur enregistré), mais la plus part n’en ont pas.
« Le régime de protection social brésilien ne s’occupe pas des travailleurs informels. Il s’applique à un modèle de marché du travail très officiel, qui ne reflète pas la réalité du pays » souligne le sociologue Pedro H.G Ferreira de Souxa, chercheur à l’Institut de sciences économiques et appliqués et spécialiste en inégalité sociale.

 

"Il faut que tout le monde soit solidaire"

Difficile de faire respecter la loi quand elle ne s’applique pas, et même lorsque les employés sont sous contrat. Le nombre de licenciement a explosé ces derniers jours.
Mario Avelino, président de l’Institut Domestica légal, une ONG spécialisée dans le droits des employés domestiques, vient de mettre à disposition sur le site de son Institut un guide (ebook) à bon usage pour que les employeurs ne licencient pas à tout va leurs domestiques.

Quelques pages qui donnent les meilleures pratiques possibles prévues par la loi brésilienne:
Les bons gestes barrières pour limiter au maximum la propagation du virus d’employé à employeur et inversement, notamment dans les transports publics qu’ils empruntent chaque jour. Renvoyer chez eux (mais surtout elles) les domestiques de plus de 60 ans. Accorder des congés anticipés et continuer de payer les salaires. En contre partie, l’employeur pourra retarder le paiement du fond de garantie (sorte de fond de pension) d’une hauteur de 8% du salaire mensuel, et une fois la crise passée, il pourra demander à son employé de compenser les congés accordés.
« Après il faut du bon sens commun. Il faut que tout le monde soit solidaire. Parce que l’employeur est peut être employé lui aussi et vit lui aussi des difficultés. Ce n’est pas le moment d’être égoïste, cela serait le chaos social si tout le monde se mettait à licencier son employé domestique » sermonne Mario Avelino.

Nécessité fait loi

Et puis se passer d’une femme de ménage quelques semaines n’est pas le plus grand des sacrifices…

A cause de la restriction de quarantaine, les bus qui circulent entre la ville et le reste de la région de Rio ont été réservés aux travailleurs « essentiels »: corps médical, ou manutention alimentaire. M.M, femme de ménage de 42 ans, originaire de la Baixada Fluminense, ne pouvait plus venir nettoyer et dormir du lundi au jeudi chez son riche patron de 90 ans. Qu’à cela ne tienne, il a fait envoyer un chauffeur particulier jusqu’à chez elle pour qu’elle vienne tout de même travailler. M.M se sent « fiévreuse » avec les symptômes de la grippe. Mais cela n’a pas l’air d’inquiéter son patron, à la santé fragile et déjà entouré de 2 infirmières et 4 autres employés domestiques à domicile. Elle n'a pas le choix.
Pas de Corona qui tienne, nécessité fait loi.

 

Fanny Lothaire avec Mathilde Bigeault