Des deux côtés de l’Atlantique, nous rions pour les mêmes choses. Les journaux web de nouvelles fictives sont chaque fois plus à la mode. En effet, après la création de The Onion aux USA et du Gorafi en France, le Sensacionalista naît en 2008 au Brésil.
Politiques tournés au ridicule, caricatures poussées à bout et jeux de mots, voilà à quoi peut se résumer le type d’articles qui se trouvent dans ces journaux web. Evidemment, chacun s’adapte à son contexte, en France, c’est Alain Juppé qui en prend plein la tête suite au débat avec François Fillon pour la primaire de droite alors qu’au Brésil on se moque du Président Michel Temer avec une samba faite en son hommage. Quels que soient les contextes, on y retrouve la même ironie et toujours avec beaucoup de succès (plus de 23 000 vues pour la samba !).
Le créateur du “ Sensacionalista”, Leonardo Lanna, a réalisé une intervention sur le “Journalisme et Humour” dans le Centro Cultural de Jornalismo Casa Pública à Rio de Janeiro le samedi 26 novembre.
“L’humour est le fil de la société”
Fini la rigolade, “nous allons parler sérieusement de l’humour” dit Leonardo Lanna. Derrière l’apparente légèreté des sujets traités sur son site se trouve une analyse de la société bien plus nuancée que ce qu’on pourrait croire.
Pour Leonardo, c’est en exacerbant les stéréotypes que les personnes en prennent conscience. Néanmoins, il trouve que les maux de la société les plus profonds se révèlent surtout dans les sujets qui ne font pas rire.
En effet, Leonardo nous dit éviter de traiter des sujets tels que l’avortement, toujours polémique au Brésil et susceptible de vexer ses lecteurs. “Ce n’est pas de la censure, c’est du respect, il faut faire de l’humour civilisé” dit-il, “l’humour doit être responsable”.
“Les blagues machistes, homophobes et racistes doivent être traitées délicatement elles aussi,” affirme Leonardo. Mais pour lui, que ces questions suscitent des réaction est un bon signe, parce que cela prouve qu’elles ont été intégrées dans la société brésilienne. Par contre, “on peut faire autant de blagues qu’on veut sur les pauvres et ça ne choque personne” dit-il. Leonardo explique ceci par ce qu’il appelle la “pauvrophobie” dont peu de brésiliens ont conscience.
Nous pouvons faire un parallèle avec les tensions entre l’humour et la religion en France. Alors que notre pays est reconnu pour son esprit laïque, ridiculiser des figures vénérées par d’autres personnes qui coexistent sur le même territoire a déjà causé de nombreuses polémiques.
Bref, les limites et controverses de l’humour sont le miroir de chaque société. Néanmoins, Leonardo introduit une nouvelle réflexion par rapport à l'humour: c’est une arme à double tranchant.
Même plus drôle...
Leonardo trouve qu'on sous-estime l’impact de l’humour en politique. Dans certains cas, lâcher des vans sur un politicien peut lui être profitable. “L’humour peut faire grandir des monstres” selon lui.
Le créateur du Sensacionalista prend comme exemple Jair Bolsonaro, député du Partido Progressista élu en 2010, ouvertement pro-dictature et qui a déclaré que la torture était pour lui une pratique légitime. Ce personnage, complètement “à l’Ouest” se prêtait trop à être tourné en ridicule. Néanmoins, ce sont justement ces innombrables vidéos qui circulaient sur les réseaux sociaux qui lui ont donné de la visibilité et permis son élection.
Leonardo parle aussi de l'élection de Donald Trump, qu’il traite de “ bouffon”, comme étant une conséquence du même phénomène. Alors que sa candidature a provoqué des millions de sourires, ceux-ci se sont vite effacés le jour de son élection. “Parfois j’ai l’impression que c’est la réalité qui est une comédie” dit Leonardo.
Des expériences qui font réfléchir pour les prochaines élections françaises. Petit conseil brésilien, ne tournez pas trop en ridicule le candidat qui vous déplait, il risque d'être élu...
Anne-Dominique Correa pour Fanny Lothaire.