Nous vous proposons un dossier de trois volets pour comprendre le mouvement d'occupation des collèges et lycées publics au Brésil.
Volet 2 : Les trois gouttes d'eau de Michelle Temer : la PEC 241, l'Ecole Sans Parti et la Mesure Provisoire.
Le Président temporaire, Michel Temer a versé la goutte de trop. Ou plutôt trois gouttes. Il s’agit de la PEC 241, la Mesure Provisoire pour la réforme de l’Ensino Medio (le lycée) et le projet de loi du Programme Escola Sem Partido.
Manoella, étudiante de 16 ans participe à l'occupation du campus d’Humaitá du Lycée Pedro II. Haute comme trois pommes, rondelette et sympathique, il est difficile de croire qu’elle représente avec le reste de ses camarades, la plus grande source de pression et d’opposition du gouvernement de Temer. Manoella a un rire contagieux. Alors que sa voix et plutôt douce et basse, ses mots ne manquent pourtant pas de détermination et de volonté.
Elle a les idées claires sur la PEC 241, l’Ecole Sans Partis et le Mesure Provisoire de l’Ensino Médio. “Je suis totalement contre ces trois mesures” nous dit-elle déterminée. Mais quels sont ses arguments et que propose-t-elle ?
« La PEC de la fin du monde ».
Temer veut faire passer la PEC 241/55 dans le but de relancer l’économie. Il s’agit d’une des plus grandes réformes fiscales jamais connues sur le continent latino-américain. Rebaptisée comme « la PEC de la fin du monde » par les étudiants, cet amendement constitutionnel met un toit aux dépenses publiques pendant 20 ans, uniquement variables pour corriger l’inflation. Cette mesure a été approuvée par le Congrès et doit encore être votée à deux reprises au Sénat.
« La PEC 241 est efficace pour lutter contre la crise » reconnaît Manoella. « Mais l’éducation risque d’être privatisée avec cette mesure… alors que l’éducation publique c’est notre droit. Avec la PEC, le gouvernement va couper les dépenses en éducation. Or, nous avons déjà manqué à plusieurs reprises de feuilles pour passer des examens, imaginez ce que nous deviendrons avec moins d’investissements dans notre lycée !”
Mais que faire alors pour sortir de cette situation économique ? Manoella propose une alternative bien plus simple, « pourquoi est-ce qu’on ne tire pas plutôt de l’argent de la poche des politiciens ?” dit-elle «mais ils ne feraient jamais cela… ».
La réforme de l’Ensino Medio
L’Ensino Medio correspond aux années de lycée. Des chiffres alarmants montrent que de nombreux élèves ratent l’examen final ENE (12,1%) et que plus de 1,7 millions de jeunes de 15 à 17 ans (17% de l’ensemble de la population) ne sont pas scolarisés. Des transformations du lycée étaient déjà en discussion pendant le mandat de l’ex-présidente Dilma Roussef.
La réforme voulue par le gouvernement du PMDB cherche donc à permettre une plus grande scolarisation et un plus haut taux de réussite à l’examen final et serait appliquée à partir de 2018. Pour cela, elle propose d’augmenter la journée scolaire de 5h à 7h mais aussi de flexibiliser les matières enseignées. Il s’agit notamment de réduire le nombre de matières obligatoires à la moitié du curriculum : des cours de langues portugaise, anglaise et des mathématiques. Le reste des matières serait optionnel et les étudiants libre de choisir. Parmi celles-ci se trouvent des cours de langues, de mathématiques, de sciences naturelles, de sciences humaines et de formation technique et professionnelle. Néanmoins, toutes les écoles ne sont pas obligées à fournir l’ensemble de ces options. De plus, la Mesure Provisoire de l’Ensino Medio réduit les exigences quant à la formation des professeurs. Si aujourd’hui il est demandé d’avoir un diplôme technique ou supérieur en pédagogie pour pouvoir enseigner, ceci ne sera plus nécessaire.
Pour Manoella, cette réforme réduit la qualité de l’enseignement. « La Mesure Provisoire, rendra la sociologie, la philosophie, l’histoire l’éducation physique et l’art facultatives. Ceci va faire de l’éducation publique une école technique sans pensée critique » dit-elle. « Comment vais-je pouvoir développer ma pensée critique en dehors de l’école ? La famille aide, mais l’école est très importante ». Quant aux heures supplémentaires de cours, elle trouve que « s’ils tiennent autant à augmenter le temps scolaire, ils pourraient donner des cours de danse, parce qu’après 5h notre cerveau est fatigué ».
L’Escola Sem Partido
Le projet de loi « Escola Sem Partido» vise à afficher dans chaque salle de classe de manière obligatoire une charte avec les “Devoirs du professeur”. En quelques mots elle empêche le professeur de se prononcer personnellement sur un certain nombre de sujets à fin d’empêcher que son avis personnel n’influence les étudiants. Le Programme de l’Ecole Sans Parti veut baser l’éducation nationale sur 5 principes « la neutralité politique, idéologique et religieuse ; la conscience de la vulnérabilité des élèves ; la liberté de conscience et de croyance ; et le droit des parents que leur enfants reçoivent une éducation morale et fidèle à leurs propres convictions » .
Pour Manoella « que le professeur ne puisse pas donner son opinion limite la pensée critique des élèves”. De plus, elle trouve que « l’Escola Sem Partido » a une connotation extrêmement conservatrice. “L’Escola Sem Partido cherche en réalité à mettre fin aux débats autour de la tolérance religieuse, de la politique et de la théorie du genre considérés comme idéologiques” dit-elle. « Ils veulent détruire le caractère progressiste des lycées publics ».
Pour en savoir plus sur l'occupation des étudiants, lisez nos le Volet 1 : Au Brésil, les étudiants investissent leurs écoles, et le Volet 3 : Un antre de débauche ou la création d'une nouvelle pédagogie ?
Anne-Dominique Correa pour Fanny Lothaire