En ce 8 mars, Jour Internationale des droits de la Femme, les conférences et messages de respect abondent, ornant le Brésil d’un vernis de tolérance et de paix. Pourtant, pour le sexe féminin, le pays est l’un des plus dangereux au monde.
145. C’est le nombre de femmes victimes de violences morale et/ ou physique au Brésil. Par jour. Un chiffre effrayant, reflet d’une réalité qui contraste avec la légèreté des bikinis multicolores arborés par les Brésiliennes figurant sur nos écrans.
Etre femme nuit gravement à la santé
Au Brésil comme partout, la violence à l’encontre des femmes est un phénomène de longue date. Flavia, étudiante de 29 ans et fervente militante féministe du MML (Movimento Mulheres em Luta), explique : « La violence contre les femmes a toujours existé. Mais pendant longtemps, cette violence n’était pas perçue comme telle, puisqu’elle était banalisée ». Du sifflement de rue à la claque, la palette de la violence est dense. Et à l’extrémité du spectre morbide, l’ombre mortelle du « féminicide » se dessine.
Nom commun popularisé par Diana Rusell en 1976, le féminicide (ou fémicide) désigne tout crime perpétré contre une femme pour le simple fait d'être femme. Au Brésil, le taux de féminicides s’élève environ à 5600 par an. Soit 470 par mois ; 15 par jour ; 1 toutes les 90 minutes. Des chiffres records, qui placent le pays comme l’un des plus meurtriers pour les femmes. Le septième au classement mondial, pour être précis. « Les indices de violence contre les femmes sont alarmants » déplore Mariana, sociologue engagée dans le collectif féministe Rosa Lilas. Avant de préciser : « Sans oublier que l’on ne parle ici que du cas extrême, l’assassinat des femmes, mais qu’il y a d’innombrables formes d’agressions physiques, psychologiques, morales, très difficiles à quantifier parce qu’elles échappent aux statistiques ».
Carte des féminicides au Brésil. - Crédits : Agência Patricia Galvão
Personne n'échappe à ce tourbillon sanglant. Si l’on en croit Mariana, « les femmes victimes de violence sont des femmes de tout âge, de toute ethnie, de toute classe sociale ». Pourtant, il est possible de discerner un profil type, une catégorie de femmes (encore) plus vulnérables que les autres. Les femmes noires et indiennes, souvent les plus pauvres, sont ainsi les plus exposées aux risques de violence. « Les oppressions se superposent. Si vous êtes une femme, noire et pauvre, vous avez plus de risques d’être victime de violence. Si vous êtes lesbienne et/ ou transsexuelle aussi » analyse Mariana.
Le machisme a la dent dure
La violence de la société brésilienne s’explique en partie par son caractère machiste, encore très fort. Un machisme lui-même lié à un lourd passé. C’est ce que rappelle Mariana, pour qui l’histoire du pays constitue un fardeau. « La société brésilienne hérite d’une période de plus de 300 ans d’esclavage, au cours de laquelle les femmes étaient réduites au rang d’objets sexuels. Ca vous donne une idée de la façon dont le corps de la femme est considéré comme un objet, dont le viol est ancré dans la culture. De la façon dont tout cela est aujourd’hui naturalisé. Notre société est machiste, elle contrôle, manipule et punit les femmes ».
Autre facteur d’explication : l’attitude des représentants politiques, dont la mentalité et les projets demeurent très imprégnés par les stéréotypes sexistes. Plus qu’émancipatrices, certaines lois se révèlent ainsi sources de nouvelles menaces pour les droits des femmes. A l’image du projet de loi proposé en 2015 par le Président de la Chambre des Députés, Eduardo Cunha. Ledit projet visait notamment à renforcer la criminalisation de l’avortement et à restreindre la mise en circulation de la pilule du lendemain. Fortement contesté, le projet n’a finalement pas été adopté. Néanmoins, il illustre l’inquiétante permanence de mentalités conservatrices et peu enclines à la libération des moeurs. D’où le sentiment de Flavia, partagé par de nombreuses militantes féministes, pour lesquelles « les parlementaires entretiennent la violence à l’encontre des femmes ».
Plus de 8000 femmes sont sorties dans les rues de Sao Paulo pour protester contre le projet de loi de Cunha.
Crédits : O Globo
Quand la victime devient coupable
En dépit de son conformisme, le gouvernement tente néanmoins de résoudre le problème de la violence de genre. En 2015, il a ainsi instauré une loi classifiant le féminicide comme un crime aggravé. Quelques années auparavant, en 2006, il avait déjà lancé la loi Maria da Penha, qui établit la violence domestique comme un crime. Reconnue par l’ONU comme l’une des meilleures au monde pour combattre la violence envers les femmes, cette dernière a, sans aucun doute, des effets positifs. Elle pousse notamment les femmes à dénoncer les agressions dont elles sont victimes : entre 2006 et 2013, le nombre de femmes ayant porté plaintes pour violences a augmenté de 600%.
Une affiche réalisée par la campagne de soutien à la loi Maria da Penha. "Pour la fin de la violence contre la femme".
Et pourtant … elles sont encore nombreuses à se taire. Par peur des représailles de leur agresseur. Mais aussi par honte, par crainte de la réaction des agents publics, policiers ou membres de l’institution judiciaire, souvent peu enclins à l’écoute. Parfois, les femmes en viennent même à devoir prouver qu’elles ne sont pas en train de mentir. Un mécanisme de culpabilisation pervers, dénoncé par Mariana. « Les organes de pouvoir entretiennent une relation de connivence avec les agresseurs. Il suffit de voir les difficultés auxquelles se confronte une femme victime de violences lorsqu’elle va porter plainte. Le pire, c’est la culpabilisation de la victime. Par exemple, si une femme est victime de violence sexuelle, c’est parce qu’elle portait une jupe courte ; si elle se fait battre par son mari, c’est qu’elle l’a mérité ».
A l’aube d’un Printemps féministe ?
En dépit du sombre tableau qu’elles esquissent, Flavia et Mariana discernent toutes deux une certaine évolution, encore timide, mais amorcée. « Les choses sont en train de changer. De plus en plus de femmes s’intéressent au féminisme et s’organisent, aussi bien dans les universités que dans les usines et les mouvements sociaux. Par exemple, avec le MML, nous avons réussi à réunir 8 000 femmes dans les rues de São Paulo pour protester contre le projet de loi de Cunha » explique ainsi Flavia, qui n’hésite pas à évoquer un « printemps féministe ». Plus qu’une évolution, c’est donc peut-être une véritable révolution qui se trame. Une révolution encore en terre, sans doute loin d’éclore. Mais déjà en germe.
Fanny Lothaire et Marie Gentric