C’est le rayonnement culturel français par excellence : le Fête de la musique est désormais célébrée dans le monde entier. En Allemagne, l’événement prend de toutes nouvelles dimensions.
Le jour le plus long de l’année, l’air doux d’été, des musiques du monde entier qui résonnent à chaque coin de rue et des gens qui dansent sur le bitume… la Fête de la musique a tout pour charmer n’importe qui. Ce n’est pas surprenant que l’idée de l’ancien ministre de la Culture Jack Lang se soit propagée au-delà des frontières françaises. Il a lancé la première édition parisienne en 1982, puis l’année européenne de la musique en 1985 a fait connaître l’événement autour du monde : 120 pays et un millier de villes la célèbrent désormais chaque année.
Berlin était parmi les premières métropoles à reprendre l’idée, et la toute première ville allemande. Tout a commencé à l’été 1995 par une action de l’agence Piranha : un camion militaire réaménagé, lourd de 13 tonnes, transportait quatre groupes de musique avec leurs instruments et amplificateurs à travers le centre de Berlin. Aujourd’hui, le festival est devenu tradition, près de 140 lieux différents de la ville accueillent environ 700 musiciens. “Je suis la Fête à Berlin de près depuis quelques années et ça a pris une ampleur considérable, avec une multitude de propositions dans tous les quartiers”, témoigne Daniel Winkler, directeur du bureau Export de la musique française à Berlin. “C’est un très beau succès pour un concept inventé en France, qui a pu être décliné sous de multiples formes un peu de partout”. En tout, ce sont 55 villes allemandes qui se sont pris au jeu, grandes et petites, la plupart depuis les années 2010.
À Berlin, la Fête prend une nouvelle dimension
Les Allemands se sont alors complètement appropriés la tradition française : sous le même nom en français, ils n’hésitent pas à faire évoluer la Fête de la musique. À Berlin a eu lieu pour la première fois cette année une soirée de pré-ouverture la veille du solstice d’été, pour faire durer le plaisir un peu plus. Elle s'est déroulée à Lichtenberg, un quartier délaissé de Berlin que les organisateurs veulent dynamiser, en marge des rues en vogue de Kreuzberg ou de Friedrichshain, où s’accumulent habituellement les scènes.
La Fête berlinoise prend alors une tournure politique, qui se reflète aussi dans l’autre grande nouveauté de cette année : un sing along gigantesque. Musiciens et spectateurs sont invités à chanter tous ensemble les trois mêmes chansons partout à Berlin, tous à l'unisson et à la même heure. Les titres choisis ne sont pas anodins : l’hymne européen, Imagine de John Lennon et Don’t look back in anger du groupe britannique Oasis résonnent avec l’actualité internationale et devraient procurer des frissons quand ils seront portés par des milliers de voix. “La Fête de Berlin a toujours été engagée socialement”, explique Björn Döring, le nouveau curateur du festival dans la capitale. “À notre époque où il y a tant de gens qui essaient de diviser l’Allemagne et où chacun vit dans sa bulle, je trouve important de célébrer cette fête collectivement, de célébrer le vivre-ensemble et d’opposer quelque chose de positif à tous les discours de haine.”
Mais attention, les Allemands font vibrer leurs rues jusqu’à 22 heures seulement. Après, il faut continuer sagement à l’intérieur, où la Fête de la musique se transforme en “Fête de la nuit”, voire du petit matin.
Une vitrine pour les artistes français en Allemagne
Mais dans tout cela, quelle est la part française? Surtout les étoiles montantes qui viennent se produire outre-rhin chaque année ! Le bureau Export de la musique française contribue à la programmation de la Fête depuis qu’elle existe en Allemagne. Il aide les différents Instituts français à monter un programme à l’occasion et organise depuis 2003 un grand plateau purement français à Berlin, la French Night à la Kesselhaus. En 24 éditions du festival, d’innombrables artistes ont pu venir de l'Hexagone : Elena Nougera, Jeanne Cherhal, Kent, Java, Danakil ou Dionysos.
Le but n’est pas seulement de faire goûter aux Berlinois les mélodies françaises, mais aussi de booster les musiciens sur le marché allemand, première destination internationale pour les productions françaises. “Nous aidons les artistes à rencontrer les bons partenaires”, explique Daniel Winkel, “producteurs, éditeurs et distributeurs qui peuvent représenter leur répertoire à l’étranger”. Cette année, quatre groupes français viennent faire danser les Berlinois : Mélanie Pain, The Rodeo, Isaac Delusion et Bobun Fever.
Un événement plébiscité par les Allemands
Outre les subventions pour défrayer les artistes et la mise en relation de l’énorme réseau d’organisateurs autour du monde, la France ne participe pas à l’organisation même du festival en Allemagne - les villes y tiennent assez pour investir elles-mêmes. À Berlin, la Fête dépendait pendant longtemps de subventions publiques et privées et peinait à lever la somme nécessaire, alors la mairie a pris le problème à bras le corps cette année : désormais, c’est une société interne au service culturel, Musicboard Berlin, qui porte l’événement - ce qui assure un budget fixe de 180 000 euros par édition.
Mais surtout, souligne Björn Döring, ce sont les musiciens et les propriétaires de bars, de salles de concerts ou de jardins qui font vivre la Fête en mettant à disposition leur savoir-faire et leurs lieux. “Ce qui me passionne, c’est de voir autant de personnes différentes se mobiliser pour la musique ce jour-là”, confie Björn Döring. “Contrairement à un festival habituel, où il y a un organisateur central qui gère tout, il y a énormément de participants qui font un cadeau au public, puisque tous les concerts sont gratuits. Ce jour-là, il n’y a pas de barrière sociale pour voir de la musique. C’est un accomplissement important !”
La Fête de la musique est alors un beau cadeau de la France au monde, un événement qui grandit et prend de nouvelles formes - et que des centaines de milliers d’Allemands vont apprécier ce soir. Merci la France !
Par Anja Maiwald