Haine sur Internet: l'Allemagne veut passer à l'offensive

Le ministre allemand de la Justice, Heiko Maas (SPD), a présenté hier un projet de loi visant à contraindre les réseaux sociaux à supprimer rapidement les messages haineux et les "fake news", sous peine d’être condamné à de très lourdes amendes.

En 2015, Facebook, Twitter et Youtube avaient signé un code de bonne conduite dans lequel ils s'engageaient à retirer dans un délai de 24 heures tout discours de haine diffusé sur leurs plateformes. Mais les messages racistes se sont multipliés depuis l’arrivée de centaines de milliers de migrants en Allemagne, rendant difficile le contrôle. Pour le ministre allemand de la Justice, les réseaux sociaux « ne sont pas parvenus » à cet objectif. « Les posts ne sont pas supprimés assez rapidement. Les réseaux sociaux ne prennent pas suffisamment au sérieux les signalements de leurs propres utilisateurs », a déploré M. Maas. Twitter n'a supprimé qu'1% des contenus signalés comme illégaux par des utilisateurs en Allemagne et Facebook 39%, a affirmé le ministre à l’AFP.

Heiko Maas et d'autres membres du gouvernement d'Angela Merkel souhaitent que les réseaux sociaux soient désormais soumis à des contraintes légales similaires à celles des diffuseurs traditionnels plutôt qu'à celles, plus souples, qui entourent les opérateurs télécoms.

Le ministre en est certain : « nous devons augmenter la pression sur les réseaux sociaux, pour obliger les entreprises à agir. Les dénigrements et les diffamations répréhensibles doivent prendre aussi peu de place sur les réseaux sociaux que dans la rue ». « Pour cela, nous avons besoin de règles inscrites dans la loi » ajoute-t-il.

Si la loi est adoptée, les réseaux sociaux auront 24 heures pour retirer le commentaire haineux, un délai pouvant aller jusqu'à 7 jours selon la difficulté. Ils devront aussi faciliter les plaintes individuelles concernant un contenu diffamatoire. De même, les réseaux sociaux devront nommer un responsable à cette mission en Allemagne et dresser un rapport d’activité public.  Les organisations qui ne se conformeront pas aux nouvelles règles encourront une amende pouvant aller jusqu’à 50 millions d'euros. Ce projet de loi doit encore recevoir le feu vert du conseil des ministres, puis du Parlement.

Un projet de loi qui fait débat

Le chef du groupe SPD au Bundestag, Thomas Oppermann, trouve que la démarche du ministre de la Justice est la bonne. La député du Bundestag, Nadine Schön (CDU), ajoute aussi « après des mois d’hésitation, il passe aux mesures désagréables », qui lui semblent nécessaires.

En revanche, le vice-président du Parti Libéral-Démocrate, Wolfgang Kubicki, ne cache pas son désaccord dans Die Welt : « quand Heiko Maas pense que les plateformes comme Facebook doivent devenir une administration de censure, alors il n’a pas bien compris son devoir en tant que ministre de la Justice ou alors il veut détourner l'attention sur son propre échec ». Il ajoute que « le véritable problème, c’est que certaines administrations se heurtent à des limites d’effectifs et donc à des difficultés pour enquêter ».

Facebook vient aussi de de gagner un procès début mars contre un réfugié syrien qui voulait obliger le réseau social à censurer les détournements de son selfie avec Angela Merkel. Dans sa décision consultée par l'AFP, le tribunal de Wurtzbourg (centre) a considéré Facebook comme un « hébergeur » et non comme un média, qui ne pouvait être contraint à filtrer chaque contenu insultant ou diffamatoire. Avec la loi de Heiko Maas, les magistrats auraient sans doute considéré le dossier différemment.

par Sibylle Aoudjhane