Un vivier de plusieurs dizaines de milliers d'islamistes, des centaines de jeunes Allemands partis en Syrie et en Irak faire le djihad: l'Allemagne apparait de plus en plus comme une cible des réseaux terroristes, mais comment le pays pourra-t-il relever ce défi alors qu'il doit en même temps gérer une crise migratoire sans précédent ?
La mention n'a échappé à personne et certainement pas aux autorités allemandes. Dans son communiqué de revendication des attentats de Paris, le groupe État Islamique évoque l'une des cibles, le Stade de France, lieu du match amical France-Allemagne, deux pays qualifiés de "croisés". Tout autant que la France, l'Allemagne est donc considérée comme une cible aux yeux des terroristes. Une confirmation, plus qu'une révélation.
Car depuis des mois, la menace se précise. Les services de renseignement allemands n'ont pas sous-estimé la portée d'une vidéo de propagande de l'Etat Islamique diffusée au cœur de l'été. On y voit deux djihadistes s'exprimant en allemand exécuter deux otages syriens et menacer explicitement l'Allemagne. Angela Merkel est citée nommément, et promesse est faite de venger "le sang des musulmans répandu en Afghanistan" (où l'Allemagne est intervenue sous mandat de l'OTAN), ainsi que le soutien de Berlin à la coalition anti-Daesh. Un appel est aussi lancé aux "frères et aux sœurs" d'Allemagne et d'Autriche à rejoindre le groupe et à commettre des attaques contre les infidèles, "chez eux".
Le nombre d'Allemands partis faire le djihad en Syrie et en Irak, principalement au sein des rangs de l'État Islamique, n'a cessé de grossir: de 450 il y a un an à 600 au début de l'année, ils seraient aujourd'hui plus de 750. L'un des cas les plus célèbres est celui de Denis Cuspert (ci-dessus), alias Deso Dogg, un musicien sans talent de la scène hip-hop berlinoise, parti rejoindre Daesh avant d'être tué par une frappe américaine le 16 octobre dernier près de Raqqa.
Lui est mort, mais beaucoup (sans doute plus d'un tiers de ceux qui sont partis) ont survécu aux combats et aux bombes de la coalition et ont décidé de rentrer en Allemagne. Avec quelles intentions ? Les services de renseignement disent que la plupart n'ont pas de projets particuliers... Mais le risque est là. Selon le dernier rapport sur la sécurité intérieure publié en juin dernier, la "scène" islamiste allemande est estimée à 44.000 personnes, gravitant autour de 25 groupes différents. Les services allemands sont même très précis dans leurs évaluations, affirmant que cette population a augmenté de 700 personnes entre 2013 et 2014. Et les coups de filets sont réguliers.
Aucun projet précis d'attentat n'a jusqu'ici été révélé. Mais cela suffit à nourrir les peurs et les amalgames, et ce d'autant plus depuis que la crise migratoire a éclaté. C'est pour les autorités allemandes un enjeu très important: que le poison islamiste et le risque terroriste ne contaminent pas la façon dont les Allemands considèrent les réfugiés. Quand le ministre des Finances de Bavière déclare ce week-end que les attentats de Paris "changent tout" et que Angela Merkel doit revenir sur sa politique de "porte ouverte", il est sèchement contredit par son chef, le président de la Bavière et leader de la CSU Horst Seehofer, puis par la ministre de la Défense et celui de la Justice. Mais cette déclaration n'est pas isolée. L'amalgame entre réfugiés et terrorisme est entretenu depuis des semaines par le mouvement d'extrême-droite Pegida.
Depuis les attentats de Paris, les mesures de sécurité aux abords des centres pour réfugiés ont donc été renforcées. Alors que près d'un million de personnes sont arrivées en Allemagne cette année, on imagine le défi pour les services de police allemands.