A l’avant-garde, inventive et fantasque, la maison d’édition Futuropolis expose à Angoulême ses plus belles années. Etienne Robial, son mentor, revient sur une époque qui a bousculé la bande dessinée française.
Tardi, Bilal, Baudoin, Loustal, Munoz, Rochette, Juillard,… De 1972 à 1994, ils sont 380 à avoir signé chez Futuropolis. Le catalogue est impressionnant. Tous les murs du Musée de la bande dessinée à Angoulême n’auraient pas suffi pour exposer planches et portraits de ces artistes. Il a fallu choisir et ne retenir qu’une vingtaine d’entre eux pour illustrer la foisonnante vitalité d’une maison d’édition qui a porté à maturité un art cantonné avant au rayon jeunesse. C’est ce travail de défricheur qu’exhume cette première grande exposition.
Dans ses débuts, une petite librairie parisienne
Le décor est sobre avec sur les murs, le jaune, le noir et le blanc, les couleurs de la maison. Cette signature chromatique est sortie du cerveau bouillonnant d’un graphiste génial qui s’avéra être aussi un éditeur hors-pair, Etienne Robial. Il est, avec Florence Cestac, plus tard l’autrice du Démon de midi, le fondateur de la maison d’édition. Ce fut une aventure. Une vraie. De celles où les acteurs prennent des risques et bousculent les traditions. L’histoire débute pourtant petitement en rachetant une librairie spécialisée BD. Située dans le quinzième arrondissement de Paris, la librairie avait déjà le nom de Futuropolis.
La bande dessinée franco-belge explose
Portés par le souffle de mai 68, ils ont de l’envie, des idées et un regard nouveau sur le 9ème art. Ils veulent casser les codes, rompre avec les habitudes éditoriales. Ils ont des idéaux, le même salaire pour tout le monde (cette mesure ne durera qu’un temps). De libraires, ils deviendront éditeurs avec frasques, tensions et le plaisir certain de secouer le paysage de la bande dessinée de l’époque. Pour eux, l’auteur doit être mis en avant, le livre devient un objet multiforme et le dessin ne se fait dignement qu’en noir et blanc. Les talents débutants, confirmés ou patrimoniaux vont s’exprimer dans les différentes collections (30/40, X, Copyright, Hic et Nunc,...). Les formats explosent, l’album de 48 pages typique du franco-belge est mort. De ce bain bouillonnant, il sortira de beaux succès éditoriaux comme la réédition de La Bête est morte de Calvo ou Voyage au bout de la nuit de Céline illustré par Tardi.
La fin sans les moyens
Mais les utopies ont un temps. L’expérience Futuro se terminera en 1994, du moins pour ses fondateurs, plus créatifs que financiers. L’exposition inaugurée pour le Festival d’Angoulême s’arrête à ce moment. Après, c’est une autre histoire. Gallimard rachètera le nom, le catalogue. Futuropolis va se ranger des voitures mais aura fait des petits. Des maisons d’édition indépendantes, comme l’Association créée par Jean-Christophe Menu passé par Futuropolis, en sont les héritières.
Cette saga, vous pouvez la découvrir au Musée de la bande dessinée à Angoulême jusqu’au 19 mai 2019, dans le désordre reconstitué de la librairie, à côté de la mob du coursier ou autour de la table lumineuse. Elle peut se lire aussi dans une bande dessinée, La Véritable histoire de Futuropolis, réalisée par Florence Cestac elle-même. C’est joyeux et sensible comme sait très bien le faire avec son style « gros-nez » cette auteure et Grand Prix du festival en 2000.
Etienne Robial, Futuropolis a été une belle histoire ?
E.R. : Nous étions une bande d’arsouilles, de joyeux drilles, de potes. Il y eut de grands moments comme ce jour où Fellini a débarqué dans notre librairie en me disant : « J’aime ce que vous faites ». D’autres sont venus, Eddy Mitchell passait souvent. Futuropolis était un repère.
Un repère et une équipe de foot aussi ?
Le Mickson BD Football club. C’est Frank Margerin qui a eu l’idée de cette équipe composée uniquement d’auteurs. Ma copine Agnès B a dessiné les maillots. Moi, j’étais gardien de but et Futuropolis était le sponsor du club. On jouait comme des pieds même s’il y avait quelques bons joueurs. Je me souviens de Vuillemin qui était plutôt doué. On imposait nos conditions pour venir. Il fallait ne pas compter les hors-jeux, nous laisser choisir le nombre de joueurs qu’on mettait sur le terrain et on devait nous laisser gagner. Malgré ça, on a quand même souvent perdu.
Vous n’étiez pas éditeur, ni même libraire avant Futuropolis. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure ?
Ce qui me plaisait, c’était de mettre en valeur le trait d’un auteur. Mais à la base, mon métier, c’est graphiste. J’ai d’ailleurs continué à pratiquer mon métier de graphiste en même temps que celui d’éditeur. J’ai conçu l’habillage graphique de Canal Plus ou de M6 dans les locaux de Futuropolis. Et je suis toujours graphiste alors que je ne lis plus de bande dessinée.
A l’époque, vous n’aimiez pas non plus toute la bande dessinée…
Pour moi Tintin, c’était de la merde. Et Astérix ou même Giraud avec Blueberry, ce n’était pas ce qui nous intéressait. Nous étions sectaires et expéditifs, peut-être pour renforcer nos choix. Et participer à ce que la bande dessinée devienne mature.
Quelles étaient vos relations avec les auteurs ?
Les personnages, les héros nous intéressaient moins que les auteurs. Nous étions centrés sur ces derniers. On voulait les mettre en avant avec leurs noms en grand sur la couverture. Et je n’intervenais jamais sur le contenu d’un livre. L’auteur arrivait avec un projet, je ne modifiais rien à l’intérieur. Par contre, la couverture, c’était moi. Comme je vous l’ai dit, mon métier c’est graphiste.
L’histoire Futuropolis, même si elle a été belle, n’a pas toujours été facile ?
A l’époque, la bande dessinée était corsetée avec une loi de 1949 qui la cantonnait à des publications destinées à la jeunesse. On a eu des problèmes avec la censure, notamment au début avec La Véritable histoire du soldat inconnu de Tardi dans la collection 30/40. Il y avait des dessins… tendancieux. Le problème est qu’un ouvrage déclaré pornographique voyait sa TVA passer à 33%.
Comment s’est terminée pour vous cette aventure ?
L’histoire de Futuropolis est l’histoire d’une cassure, d’un couple qui merde. Je me suis séparé de Florence Cestac. Vous savez, dans Le Démon de Midi, la bande dessinée de Florence, le salaud, le méchant, c’est moi. Elle n’avait plus envie de continuer et moi non plus en fin de compte. Des gestionnaires en costume gris sont venus, on a vendu à Gallimard. L’affaire était pliée.
Exposition "Futuropolis, un éditeur aux avant-gardes de la bande dessinée". Musée de la bande dessinée d'Angoulême. Jusqu'au 19 mai 2019. Horaires, tarifs et renseignements sur le site de la Cité internationale de la BD et de l'image.
La Véritable histoire de Futuropolis. Florence Cestac / Editions Dargaud. 18 euros.