Croissance de 20 %, dynamisme, développement à l'export, le marché de la BD est en plein essor selon le récent rapport du Syndicat national de l’édition. Un enthousiasme que ne partagent pas les auteurs.
Qui lit de la BD et qui en achète ? C’est dans les salons du Syndicat national de l’édition, boulevard Saint-Germain à Paris, que l’institut d’études Gfk a donné sa réponse en début de semaine. Un rapport complet effectué sur 5000 points de vente et auprès 15 000 personnes « représentatives de la population française ». Les éditeurs présents qui, par le truchement du Syndicat national de l’édition, ont commandé cette étude, avaient le sourire aux lèvres. Sur les dix dernières années, la BD affiche une croissance de 20% de son chiffre d'affaires. Ce faisant, elle se place en troisième position derrière la littérature et les livres pour la jeunesse. En 2016, nous avons été 8,4 millions à acheter de la BD soit plus de 15% de la population française âgée de plus de dix ans.
Une femme de 41 ans CSP+
Avec ces chiffres, on peut même s’amuser à dresser le portrait type de l’acheteur de BD. Ou plutôt de l’acheteuse puisque 53% sont des femmes. Elle a 41 ans et dispose de revenus confortables (les fameux CSP+ des études marketing). Elle fait l’acquisition de 5 BD par an. Sans égoïsme, elle le fera plus d’une fois sur deux pour autrui. Manga, comics, BD jeunesse, romans graphiques… Tout le monde semble profiter de l’euphorie sauf la bande dessinée patrimoniale (série de plus de 35 ans d’âge) qui connaît une baisse de 19%. Tout le monde ou presque car il existe un gros village d’irréductibles auteurs pour qui la pilule de la croissance sans fin passe mal. Denis Bajram, auteur d’Universal War, est l’un deux. Il est secrétaire des Etats généraux de la bande dessinée, une association initialement portée par les auteurs qui veulent se faire entendre.
L’étude Gfk a fait réagir beaucoup d’auteurs sur les réseaux sociaux. Pourquoi ? La BD se vend bien, c’est une bonne nouvelle, non ?
Denis Bajram : L’étude, la dépêche Afp et la trentaine de sites qui ont repris son résumé peuvent donner l’impression que le monde de la BD est très joyeux et que tout va très bien. Alors qu’en réalité, pour les auteurs, tout va très mal. Voilà pourquoi nous réagissons.
La bonne progression des ventes ne profite pas aux auteurs ?
Denis Bajram : On ne reproche pas aux éditeurs d’être contents que les ventes progressent. On vend de plus en plus de BD, le chiffre d’affaires global grandit, très bien. Mais pour les auteurs, individuellement, le chiffre d’affaires diminue. Plus de 50% des auteurs de bande dessinée vivent sous le SMIC, un tiers sous le seuil de pauvreté. Et concernant les femmes, c’est pire. Elles sont plus de la moitié à vivre sous ce seuil. La précarisation des auteurs est réelle dans notre pays. Et les bons résultats de l’étude du SNE ne doivent pas cacher cette misère que l’on voit monter.
Tout comme les résultats records des ventes aux enchères de planches originales ou les tirages astronomiques des séries phares comme le nouvel Astérix à cinq millions d’exemplaires ?
Denis Bajram : Oui ça fait fantasmer, ça participe à cette euphorie. On crée aussi des écoles de BD. Et d’un point de vue créatif, avec la multiplication des auteurs, la période est florissante. On fait miroiter des choses mais la réalité vire au cauchemar. Tout le monde ne peut pas être Uderzo ou Sfar.
Qu’est ce qui ne fonctionne pas dans le sytème actuel ?
Denis Bajram : D’abord on ne peut pas demander aux auteurs qui sont en train de survivre de trouver seuls les solutions aux problèmes. Les éditeurs doivent se rendre à l’évidence que nous ne pouvons plus continuer comme ça. Il faut que nous réfléchissions à solidifier le parcours des auteurs, à engager des rapports basés sur le long terme. Payer plus et éviter que les prix des pages ne continuent sans cesse de baisser. Il faut aussi se poser la question de la surproduction actuelle.
Les pouvoirs publics, le ministère de la Culture, ont conscience du problème ?
Denis Bajram : Les signaux ne sont pas bons. Par exemple, la hausse annoncée de la Contribution sociale généralisée, la CSG, va baisser de 1,7 % le niveau de vie des auteurs. Aucune compensation n’est prévue. Les recours tentés auprès du ministère de la Culture sont restés sans effet. C’est triste. Pour reprendre la métaphore, le premier de cordée dans la BD, c’est l’auteur. S’il tombe, toute la cordée va déraper et toute une génération d’auteurs va être sacrifiée.