Corruption, coups tordus et cadavres dans les placards, la République française a connu ses heures sombres et pas seulement en période électorale. Rencontre avec Philippe Richelle, scénariste du polar politique Les mystères de la République qui nous parle des affaires de jadis à Fillon.

« Dans l’histoire de la Ve République…Jamais à moins de trois mois d’une élection présidentielle une opération d’une telle ampleur et aussi professionnelle n’a été montée pour essayer d’éliminer un candidat autrement que par la voie démocratique» a déclaré François Fillon embourbé dans le Pénélopegate après les révélations du Canard Enchaîné. Les affaires, c’est précisément la spécialité de Philippe Richelle. Depuis près de dix ans, le scénariste décortique à travers ses albums les rouages de la politique. Il fouille les recoins les moins nets de nos institutions. L’auteur est belge. Il a fait ses études en sciences politiques à l’université de Liège. En 1998, il s’associe avec Jean-Yves Delitte au dessin pour Les coulisses du pouvoir. Philippe Richelle place l’intrigue au Royaume-Uni où un Premier ministre un peu trop bavard se « suicide ». Plus récemment, il a réalisé une biographie de Mitterrand mise en image par Frédéric Rébéna. Là aussi, il est allé chercher l’angle mort, une période longtemps passée sous silence dans la vie du futur président. Celle où le jeune Mitterrand a travaillé pour le gouvernement collaborationniste du Maréchal Pétain.

Sa grande série du moment sont Les Mystères de la République. Douze tomes dessinés par un trio : Pierre Wachs, Alfo Buscaglia et François Ravard. Chacun d’eux dessine pour « sa » République. Pierre Wachs signe une intrigue liée à la montée des extrêmes avant-guerre lors de la Troisième République. Alfio Buscaglia s’intéresse à l’immédiat après-guerre et ses règlements de compte durant la Quatrième République. Et François Ravard prête son trait à la Cinquième République, la guerre d’Algérie et le financement du FLN. Trois polars inspirés de faits réels qui nous rappellent que la République a connu bien des affaires qui ont fait coulé de l’encre et du sang.

La Ve République n’a-t-elle jamais connu d’opération d’une telle ampleur comme l’avance François Fillon ?

Philippe Richelle La Cinquième comme la Troisième ou la Quatrième République ont connu bien pire. Il n’y a pas si longtemps, dans les années soixante sous la Ve République, il y avait le SAC, le service d’action civique. Un Etat dans l’Etat, une police parallèle du Gaullisme qui a mené des actions violentes. Et plus tard, il y a eu les affaires africaines notamment celles liées au pétrole du Gabon.

Pourtant les ennuis judiciaires de François Fillon connaissent un certain retentissement...

 P.R. On gonfle ça dans les média et avec l’opinion. Ce que révèle l’affaire Fillon ce sont surtout de mauvaises pratiques qui ont toujours existé. On peut les lui reprocher mais son histoire est moins grave que des affaires de ventes d’armes à l’étranger ou des scandales financiers au Luxembourg. Pour le Belge que je suis, ce qui me surprend c’est la constitution de cette procédure judiciaire en pleine campagne électorale. Pourquoi pas avant ou après ? Tout cela me donne l’impression d’une très grande cacophonie.

Qu’est-ce qui vous attire tant dans ces coulisses les plus sombres de la République ?

 P.R. Ce qui me passionne ce ne sont pas les affaires en elles-mêmes mais plutôt leurs modes fonctionnement, les pratiques, les financements. Des éléments qui font le constat d’une époque et de ses enjeux. Je n’ai pas envie de raconter l’histoire telle qu’elle a eu lieu, mes fictions ne font que s’inspirer de la réalité. D’ailleurs dans toutes ces affaires, on ne connait souvent que le mode opératoire et que très rarement les commanditaires. Prenez par exemple le meurtre de Jean de Broglie en décembre 1976 sous le septennat de Valery Giscard d’Estaing. Pourquoi l’a-t-on assassiné de trois balles en pleine rue ?

A force de vous être plongé dans toutes ces affaires, n’êtes-vous pas tenté de glisser vers le «tous pourris»?

P.R. Les hommes politiques ne sont pas plus malhonnêtes que d’autres. Ce ne sont pas des bandits. Le problème vient plus du système capitaliste et des institutions qui favorisent ces comportements plutôt que des hommes. La Ve République est peut-être obsolète.

Obsolète peut-être mais la Ve République continue de vous inspirer puisque votre prochain album se situe à cette période…

P.R. Mon actualité est plutôt en ce moment au XVIe siècle au coeur des guerres de Religion. Le premier tome de ma nouvelle série, Les Guerriers de Dieu, sort ce mois. Mais c’est vrai que je viens de signer chez Glénat mon prochain album. Une BD qui me ramènera sous la Ve République sur fond de guerre d’Algérie. Un récit à la fois politique et humain. Un peu dans la veine d’une de mes précédentes séries, Amours fragiles. Elle devrait sortir en 2018, pour les 60 ans du retour en politique du Général de Gaulle en 1958. Et comme je suis fidèle, je le ferai avec Alfo Buscaglia, le talentueux dessinateur des Mystères de la IVe République.

 

Les coulisses du pouvoir, 8 tomes, Richelle & Delitte. Editions Casterman.

Mitterrand un jeune homme de droite, Richelle & Rébéna, Editions Rue de Sèvres

Les amours fragiles. 7 tomes, Richelle & Beuriot. Editions Casterman.

Les Mystères de la République, 12 tomes, Richelle, Wachs, Buscaglia et Ravard. Glénat.

Les guerriers de Dieu, tome 1, Richelle & Wachs. Glénat.