Sylvain Runberg et Grun ont imaginé ce que pourrait être demain la prison sur la planète rouge. Un thriller bien mené au graphisme impeccable doublé d’une réflexion nourrie sur notre système carcéral. De l’anticipation avec un grand A.
Nous sommes en 2132. Les techniques nous permettent d’aller sur Mars. Nous y avons implanté un colonie avec, d’un côté les « honnêtes gens », bien nantis, et, de l’autre, les détenus. Ces derniers sont contraints de faire les tâches ingrates, les labeurs les plus pénibles, les travaux les plus dangereux. Mars est une grande prison à ciel ouvert. Un implant facial est nécessaire pour respirer l'air de ce nouveau monde qui se bâtit dans la sueur et le sang.
Les récits d’anticipation sont réussis quand ils sont des projections plausibles. Sylvain Runberg dans son scénario ne nous tient pas loin du présent. Entre les cases, il nous fait réfléchir sur notre société et son système carcéral. Sur la trame d’un thriller, On Mars prolonge nos questionnements sur les zones à vif de notre époque : le rôle des pouvoirs politiques et économiques, la place des religions, les libertés individuelles... Le trait réaliste et détaillé de Grun participe à ce semblant de réel. Le soin apporté aux couleurs réalisées aussi par Grun « ambiance » l’album d’une lumière toute martienne. La série est prévue en trois épisodes. Le premier donne envie d’aller plus loin…
Comme pour vos détenus envoyés sur la planète rouge, Mars est selon vous condamnée à un avenir sombre ?
Sylvain Runberg : Elle est la planète la plus à même d’être colonisée. Mais aurons-nous les moyens de le faire ? Nous sommes partis du constat bien réel que les matières premières vont se raréfier sur Terre. Ce qui restera abondant dans le futur, et la démographie actuelle le prouve, ce sera l’être humain. L’Homme ira donc chercher ailleurs ce qu’il n’a plus et avec ce qu’il a le plus sur notre planète. Une solution pourrait être d’envoyer un maximum de prisonniers défricher cette nouvelle colonie.
Grun : La technologie est aujourd’hui quasiment au point pour un voyage sur Mars. Le problème reste essentiellement humain. L’isolement, le long voyage et le retour ne sont pas dans leurs dimensions humaines complètement résolus. L’avantage de la colonisation par des prisonniers, des bagnards, est qu’elle ne nécessite pas forcément de trajets retour.
S.R. : Comme ce qui a été fait jadis avec le bagne de Cayenne en Guyane.
Cayenne et son bagne ou les goulags pour le passé mais la politique pénitentiaire actuelle imprègne aussi votre idée du futur ?
S.R. : Oui, nous nous sommes inspirés de la politique sécuritaire qui prédomine actuellement. Il y a de plus en plus de monde dans nos prisons. Les peines sont de plus en plus longues. Que ferons-nous de tous ces prisonniers ? La colonisation présentée comme un nouveau départ, une nouvelle chance pourrait apparaître comme la solution. Et un moyen utile de payer sa dette envers la société.
Ce qui vous amène à soulever la question du sens donné aux peines ?
S.R. : J’ai échangé avec le sociologue Laurent Bonelli qui est un spécialiste de ces domaines. En Suède, le taux de récidive est de l’ordre de 20%. Il est de près de 60% en France. Lors d’une séance de dédicace, un policier me racontait son désarroi de savoir que sur dix personnes qu’il peut arrêter, six recommenceront. Il y a de quoi être démoralisé. Pour quelle raison mettons-nous une personne en prison ? A quelles conditions et pour quel résultat ? Et que lui donnons-nous comme possibilité pour se reconstruire ? Voilà des questions qu’il faut se poser dans nos démocraties qui nous promettent un futur meilleur.
Votre personnage principal est une femme, une ancienne flic qui se retrouve après une bavure condamnée aux travaux forcés…
S.R. : Jasmine qui défendait le système se retrouve de l’autre côté de la barrière. Elle va devoir faire des alliances pour survivre dans le monde carcéral qui ne fait pas de cadeau aux ex-policiers. C’est aussi un élément bien réel dans nos prisons, cette nécessité d’appartenir à un groupe pour s’en sortir.
Et c’est dans la religion qu’elle va chercher son salut. Cela aussi entre en résonnance avec notre époque ?
S.R. : Une nouvelle religion syncrétique a fait son apparition. Avec un leader charismatique. Plus ou moins encouragée par le système pénitentiaire qui y voit un élément d’apaisement. Ici aussi j’extrapole une situation bien réelle. Des prisonniers qui se tournent vers la religion, ça existe. Un support spirituel pour nos personnages qui, sur Mars, ont une espérance de vie limitée.
Même si Mars est terrifiante pour vos personnages, cela a dû être un plaisir de créer au dessin ce nouveau monde ?
Grun : Graphiquement, on repart à zéro. J’ai joué sur l’idée, promesse faite aux détenus, de la construction d’un nouvel Eden. On sait maintenant qu’il y a de l’eau dans le sous-sol de Mars. J’ai dessiné d’immenses baobabs, des réservoirs d’eau, qui vont participer au nouvel écosystème que l’homme tente de mettre en place. Il y aussi l’omniprésence des drones. La surveillance et la sécurité de la colonie pénitentiaire sont assurées par ces engins. La technologie, la flore, la faune, les visages… J’ai beaucoup dessiné en même temps que Sylvain écrivait son scénario. Nous avons mis près de 4 ans pour faire cet album. C’est très bien d’avoir du temps, du recul pour créer un nouveau monde.
On Mars, tome 1 : Un monde nouveau. Runberg & Grun / Editions D. Maghen. 16 €.