Le magazine « d‘Umour & Bandessinées » change de mains. L’éditeur Bamboo est devenu majoritaire dans le capital de Fluide Glacial. Pour le meilleur ou pour le pire ? L'interview du rédacteur en chef de Fluide, Yan Lindingre et du patron de Bamboo, Olivier Sulpice.
L’humour des Profs et des Footmaniacs édités par Bamboo est-il compatible avec celui du magazine fondé par Gotlib et Alexis en 1975 ? Annoncée le 2 novembre par un communiqué de presse, la prise de participation a surpris le monde des bulles et ses acteurs. Bamboo est entré dans le capital des éditions Audie, éditrice du magazine Fluide Glacial et des albums qui vont avec. Il en est même devenu l’actionnaire principal et majoritaire. Le titre était détenu jusqu’à maintenant par Madrigall, groupe qui possède, entre autres, Flammarion et Casterman. Pas d’OPA sanglante, ni de raid boursier, le changement s’est fait en douceur dans le secret de négociations entamées depuis au moins un semestre. Madrigall reste d’ailleurs dans le capital du titre.
Bamboo, créé en 1997 par Olivier Sulpice, s’est fait connaître par la publication d’albums à l’humour grand public et familial. Comme avec la série Les Profs, primée dans la catégorie jeunesse au Festival d'Angoulême en 2001 et adaptée depuis au cinéma. On leur doit aussi Les Gendarmes, Les Postiers, Les Vélomaniacs, Tennis kids, Les animaux marins, Les fondus du vin ou de la brocante… Des BD d’humours déclinées par profession, sport ou passion. Ça n’en fait pas systématiquement des chefs-d’œuvres mais elles ont trouvé sans prétention leur petit ou grand public.
Fluide Glacial ne joue pas dans la même cour. Son humour est plus adulte et corrosif. Le magazine a dans ses pages des monuments de la BD : Idées noires de Franquin, Les Bidochons de Binet, Superdupont de Gotlib. Et a publié quelques-uns des meilleurs auteurs actuels comme Blutch, Manu Larcenet ou Riad Sattouf. Alors quand Bamboo a passé la bague au doigt de Fluide, lecteurs et auteurs se sont demandé si la nouvelle était bonne ou mauvaise. Je suis allé rencontrer les deux principaux protagonistes dans les locaux de la rédaction à Paris dans le Xème arrondissement.
Bamboo qui rachète Fluide Glacial, on peut trouver ça surprenant, non ?
Olivier Sulpice : « Le groupe Bamboo sait faire de l’humour, différent de celui de Fluide mais la BD humoristique ne nous est pas complètement étrangère. Ceci étant, mon objectif n’est pas de transformer Fluide Glacial en Bamboo bis. Le magazine doit continuer d’exister avec son esprit et ses auteurs. »
Vous n’avez pas racheté Fluide pour ne rien faire, vous avez bien des idées ou des projets pour ce titre ?
OL : « Je prends ça comme un challenge personnel mais jamais je n’imposerai mes choix. Yan continuera d’être le rédacteur en chef et c’est lui qui prendra les décisions. Je me vois plus comme un coach. Mon objectif est d’augmenter les ventes d’albums, je pense que nous pouvons faire mieux qu’aujourd’hui. Pour le magazine, ça va être plus dur de les faire progresser. Mais c’est une vraie force d’avoir un magazine. »
Pourquoi une force ?
Yan Lindingre : « Fluide est le dernier des magazines de BD adulte existant. Il est un laboratoire à talents et il sert de vitrine. Il faut développer les synergies entre le magazine et les albums. »
Yan Lindingre, le rédacteur en chef que vous êtes a été associé à ce mouvement de capital ?
YL : « Ce n’est pas mon rôle de choisir l’actionnaire donc non, je n’ai pas été associé au rachat. Mais il y a eu un travail d’approche. J’ai rencontré plusieurs fois Olivier et nous avons eu le temps de discuter de Fluide et de son avenir. »
Vous le voyez d'ailleurs comment l'avenir de Fluide ?
YL : « Depuis 4 ans, il y a de nouveaux auteurs. Je pense par exemple tout dernièrement à Karabuluc, un auteur turc qui dresse un portrait actuel fin et satyrique sur les transformations de son pays. Notre risque était de n’être lu que par nos vieux lecteurs. Et Fluide était assimilé un moment à de la BD pour beaufs. Vous savez, nous avons beaucoup souffert de la fin de la conscription pour le service militaire. Plus sérieusement, il fallait de l’éclectisme et il fallait faire évoluer le titre. Je me sens encore au milieu du gué dans la rénovation du journal. L’arrivée de Bamboo est une opportunité pour transformer l’essai. »
Comment les auteurs ont accueilli ce changement ?
OL : « Je suis allé à mon premier bouclage et les questions étaient du genre : T’es qui toi et qu’est-ce que tu veux ? Je leur ai dit que j’étais là pour accompagner le journal, simplifier un certain nombre de choses et augmenter les ventes d’albums. Je leur ai demandé d’attendre et de voir ce que nous mettrons en place. »
Aucun auteur de Fluide n’a claqué la porte ?
YL : « Non, il est vrai que pour certains auteurs, ce n’est pas dans leur culture. Mais l’accueil a été plutôt bon et ils ont bien compris l’intérêt pour tout le monde de développer les ventes de leurs albums. »
Et du coté des auteurs Bamboo ?
OL : « Ils regardent ça avec intérêt. Un scénariste nous a déjà contacté pour nous proposer quelque chose. Je l’ai renvoyé vers Yan. On ne s’interdit pas des liens entre les auteurs Bamboo et Fluide mais comme je vous l’ai dit, l’éditorial c’est le domaine du rédacteur en chef. Moi, c’est la stratégie. »
Une nouvelle formule de Fluide est prévue prochainement ?
YL : « Rien dans l’immédiat. Nous ferons quelque chose mais en douceur, dans une petite année. Certainement pour fêter le 600ème numéro de Fluide Glacial. »