Après Charlie, Superdupont n’est plus le même

Les attentats contre Charlie Hebdo ont transformé le héros tricolore dans Renaissance, le nouvel album dessiné par François Boucq.

Marcel Gotlib et Jacques Lob n’auraient certainement pas pu concevoir en 1972, date de sa naissance dans le journal Pilote, que leur personnage puisse un jour devenir un marqueur du temps et de la société. Le héros au béret et marcel s’est plusieurs fois pris les charentaises dans le tapis déroulant d’une actualité où transparaît la montée des extrêmismes, les tentations communautaristes ou le fanatisme religieux. La première fois qu’il mit genou à terre ce fut après la percée du FN lors des élections européennes de 1984 : «… Le Pen avait déclaré qu’il était Superdupont et fier de l’être et que son combat était l’Antifrance. Il y avait trop d’ambiguïté. Le racisme et la xénophobie ont été pris au premier degré… Ce n’était pas une BD politique, ce n’était pas du Charlie Hebdo », se souvient Jean Solé qui succéda au dessin à Alexis, dans une interview de 2006 au site Actuabd.

Superdupont de Jean Solé

Superdupont d'avant les attentats (© photo Francis Forget)

L’idolâtre du camembert fut prié, par ses auteurs, de ranger sa ceinture de flanelle tricolore au placard pendant une dizaine d’années. L’affaire se tasse et le voilà qui reprend du service (national) en 1995 et en 2008 avec le concours de Lefred-Thouron au scénario. Puis survient en 2012 l’épisode Alain Soral. L’essayiste d’extrême-droite utilise sur la jaquette de l’un de ses DVD l’image du super-héros. Evidemment sans le consentement de ses auteurs, ni du magazine Fluide Glacial qui détient les droits. « Superdupont, c’est de l’humour, du second degré. L’Antifrance, c’est de la blague, c’est pour rire… Faut pas prendre ça au pied de la lettre. Superdupont cogne sur les étrangers mais Superdupont… c’est con, n’est-ce pas », écrit le rédacteur en chef Yan Lindingre dans un message cinglant, le 26 décembre 2013, sur la page Web du Magazine d’Umour et bandessinées.

François Boucq dessine le Superdupont d'après Charlie (photo © Francis Forget, Angoulême 01/2015)

François Boucq dessine le Superdupont d'après Charlie (photo © Francis Forget, Angoulême 01/2015)

Les attentats du 7 janvier contre Charlie Hebdo ont eu raison des derniers penchants anti-cosmopolites du superfrançais. C’en était trop. « Nous nous sommes dits que l’idée d’une Antifrance n’était plus défendable aujourd’hui. Elle risquait de transformer Superdupont en personnage xénophobe, surtout après les attentats de janvier dernier. Il nous a semblé plus intéressant de faire de lui un défenseur de ces valeurs françaises que sont la liberté, l’égalité et la fraternité », explique François Boucq. Comme si l’assassinat de Cabu, créateur du "beauf", avait mis fin à la fibre franchouillarde et raciste du héros moustachu en caleçon long.

Superdupont et son fils

Renaissance, l’album porte bien son titre, car le héros connait de fait une mutation idéologique et politique profonde passant du crétin xénophobe au - presque - défenseur des droits de l’Homme. A moins que ce ne soit son fils qui s’en charge. Car le pitch de ce nouvel opus est précisément la naissance du descendant de SD. Un super-bébé qui devrait grandir dans les prochaines aventures. Et le combat de se poursuivre, non plus contre l’Antifrance, mais contre la méchanceté incarnée par le pape des Ténèbres. Longue vie au génie français.

Superdupont Renaissance couvertureSuperdupont Tome 1 - Renaissance. Scénario Marcel Gotlib, François Boucq et Karim Belkrouf. Dessin : François Boucq. Editions Dargaud. 14 euros.