Dans Filles des oiseaux, Florence Cestac croque la France d'avant 68 vue d'un pensionnat pour jeunes filles. Sous son crayon, le tragique ou le pathétique virent à la farce dessinée. Irrésistible.
Les Oiseaux est un internat catholique en Normandie pour jeunes filles bien comme il faut ou presque. Thérèse, 13 ans, y a été admise parce-que son père est paysan (on ne disait pas encore agriculteur à l’époque). Il fournit le pensionnat en produits fermiers. Thérèse dénote socialement dans une école traditionnellement réservée à la bourgeoisie. A cet âge, les barrières sociales sont encore perméables et Thérèse s’est faite copine avec Marie-Colombe, fille de bonne famille, au tempérament vif et transgressif. Pour noircir le tableau, Thérèse a un père alcoolique qui cogne sur sa femme. Du côté de Marie-Colombe, à Neuilly, une famille guindée où le vouvoiement s'impose. L'envie et le besoin d’émancipation sont forts chez ces adolescentes mais les bonnes sœurs veillent...
D’aucun aurait choisi d’en faire un roman graphique au style audacieux, la mine grave et le propos sérieux. Pas Cestac qui est une tenante du style BD gros nez décomplexée. Elle préfère dessiner les personnages avec des appendices nasaux généreux. Et son style cartoon façon Popeye colle parfaitement à ses comédies de moeurs. Il y a du tragique dans ses histoires drôles et de l’hilarité dans ses récits malheureux. C’est une constante, une qualité de l’auteure. Dans Le Démon de midi publié en 1996, elle nous faisait marrer avec l’explosion du couple à l’approche de la quarantaine. En 2009, avec Je voudrais me suicider mais j'ai pas le temps, biographie de Charlie Schlingo, auteur de BD à la vie déglinguée. En 2013, avec Le Démon du soir ou la « ménopause héroïque » pour ne citer que quelques albums.
Le rire provient du réel, c’est acquis pour celle qui fut couronnée Grand prix d’Angoulême en 2001. Dans Filles des Oiseaux, il faut aller en fin de l’album pour le vérifier. On y découvre la petite Cestac, en jupe plissée avec un chemisier vichy, posant pour la photo devant le pensionnat des Oiseaux près d’Honfleur dans les années 60. Car la pension catho a bien existé et l’auteure y est restée de la sixième à la seconde. La BD n’est pas pour autant une autobiographie. Florence Cestac a puisé dans ses souvenirs, mélangé des trajectoires de vies et remanié le vécu pour ce récit prévu en deux tomes. Tout est vrai ou presque sans être réel.
Filles des oiseaux est une BD savoureuse et drôle, en sépia, sur la France figée d’avant la tempête de Mai-68. Sur ses différences sociales et culturelles. Sur la religion et son emprise. Elle est une peinture acerbe du machisme ambiant et de l’inégalité entre les hommes et les femmes. « N’oubliez pas que l’aiguille est à la femme ce que la plume est à l’écrivain » s’exclame la mère supérieure prodiguant ses cours de couture à des jeunes filles promises à un destin qui fait rêver. La cause des femmes est celle de Florence Cestac. C’est entendu et pour ceux qui l’avaient oublié, elle l’a rappelé lors du dernier festival d’Angoulême. Le verbe haut, elle a dénoncé la « crétinerie » d’une sélection exclusivement masculine des 30 auteurs en lice pour le Grand prix.
Mais ça, c’était au mois de janvier. Octobre s’annonce plus joyeux avec une exposition et une réédition. L’exposition-vente se tient à la Galerie Martel à Paris jusqu’au 15 octobre. Avec les originaux de Filles des Oiseaux, des planches d’albums précédents ainsi que des masques rigolos de ses personnages. L’autre actualité est la sortie le 7 octobre d’une réédition compilation d’Harry Mickson, personnage fétiche de l’auteure dans les années 80. Mi-homme mi-Mickey Mouse, Harry Mickson a fait les grandes heures et les belles pages des éditions Futuropolis. Avec Filles des Oiseaux, Harry Mickson et une exposition, Florence Cestac s'envole en cette rentrée 2016.
Fille des Oiseaux, tome 1, Florence Cestac / Editions Dargaud, 14 €
Harry Mickson & Co, Florence Cestac / Editions Dargaud, 25 €